Le réchauffement de la planète est devenu un de ces sujets de discorde interminable, dont seul Internet a le secret. L'internaute qui veut exprimer son inquiétude sur le Web aura de fortes chances d'être pris à partie par des «éco-sceptiques» tout aussi motivés. Curieusement, le phénomène n'a d'existence que chez nos voisins anglophones.

Le réchauffement de la planète est devenu un de ces sujets de discorde interminable, dont seul Internet a le secret. L'internaute qui veut exprimer son inquiétude sur le Web aura de fortes chances d'être pris à partie par des «éco-sceptiques» tout aussi motivés. Curieusement, le phénomène n'a d'existence que chez nos voisins anglophones.

Le blogueur montréalais Hugh Mcguire l'a appris à ses dépens après avoir critiqué en ligne le chroniqueur Rex Murphy, du quotidien The Globe and Mail, qui remettait en question la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique.

«Aussitôt, j'ai reçu les commentaires de deux personnes qui n'étaient manifestement jamais allés sur mon blogue auparavant», raconte-t-il.

«En bref, ils ont écrit que la communauté scientifique n'était pas unanime sur le sujet. Ils ont comparé la majorité en faveur de la thèse du réchauffement à l'obscurantisme de l'Église au temps de Copernic et de Galilée.»

C'est là que Hugh McGuire a commis l'erreur fatale : il leur a répondu avec d'autres arguments. Ses interlocuteurs ont repris le débat de plus belle. Devant l'avalanche de commentaires, il a abandonné le combat en laissant le mot de la fin aux éco-sceptiques.

On trouve dans les blogues et forums du Web beaucoup d'internautes sceptiques envers les conclusions du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental de l'évolution du climat), même si ses 500 délégués internationaux ont réaffirmé, dans leur dernier rapport au début du mois, la responsabilité de l'activité humaine dans l'accroissement de l'effet de serre.

Esprits de contrariété

Dans leurs propres blogues comme dans les commentaires qu'ils publient sur ceux des autres, ils qualifient souvent d'alarmistes les conclusions du GIEC et les associent au militantisme écologique, ou au «gauchisme» et à l'interventionnisme gouvernemental. Le protocole de Kyoto, quant à lui, est souvent présenté comme un objectif irréalisable ainsi qu'une menace à la liberté d'entreprendre.

Dans leurs interventions, ces éco-sceptiques branchés se réfèrent souvent à des publications d'organismes tels que l'American Enterprise Institute ou le Cato Institute, des groupes de pression conservateurs aux États-Unis. L'institut Fraser, un groupe de réflexion de Vancouver, est aussi très cité au Canada anglais.

Leurs opposants, de leur côté, remettent en question la bonne foi des scientifiques qui travaillent pour ces organismes.

«Ce sont des auteurs qui publient des articles à saveur scientifique, mais qui sont en fait marginalisés de la communauté scientifique, et ne sont pas passés par le processus normal d'évaluation par les pairs», juge Sebastian Weissenberger, professeur en sciences de l'environnement à la Télé-Université de l'UQAM.

«Ce n'est pas de la science, mais de l'activisme, poursuit-il. D'ailleurs, la plupart des scientifiques qu'ils mettent de l'avant sont spécialisés en gestion ou en économie. Certains sont dans les sciences pures, mais leur bibliographie porte sur d'autres spécialités que le climat.

«Ils utilisent toujours les mêmes trois ou quatre arguments, comme quoi le rôle du soleil est sous-estimé, ou que les températures n'augmentent pas tant que ça. Ils exploitent aussi le fait que les scientifiques parlent en niveaux de gris. Ils en concluent que nous ne sommes sûrs de rien alors qu'en réalité, c'est normal pour un scientifique d'exprimer des nuances.»

Malgré ces nuances, le réchauffement de la planète et ses causes humaines font assurément l'unanimité, selon Claude Hillaire-Marcel, paléoclimatologue à l'UQAM et lauréat du prix Marie-Victorin du gouvernement du Québec.

«Il ne peut être question de renvoyer dos à dos les tenants d'une théorie face à ceux d'une autre», dit-il. «C'est la tâche que des lobbies douteux se sont fixée, nés de la politique de l'administration Bush et encouragés récemment au Canada par notre premier ministre.»

Selon M. Hillaire-Marcel, il est «totalement irréaliste et irresponsable» pour un scientifique de s'opposer aux conclusions du rapport du GIEC, car cela laisse penser qu'il y a un désaccord là où il n'y en a pas.

Pourtant, selon un sondage de la firme McAllister publié l'été dernier, 55 % des Canadiens pensent que les scientifiques ne sont pas tous d'accord sur l'existence du réchauffement climatique.

On peut le croire quand on voit les nombreux commentaires de Canadiens éco-sceptiques qui inondent le blogue Desmogblog.com tenu par des journalistes spécialisés en environnement, et qui critique régulièrement les organismes opposés aux conclusions du GIEC.

«Ces gens sont sans cesse dans notre blogue, soupire James Hoggan, créateur du site et président d'un important cabinet de relations publiques à Vancouver. Si on écrit par exemple un texte sur la pollution causée par les centrales à charbon, des tas de commentaires sceptiques apparaissent aussitôt, qui cherchent à minimiser l'impact de cette pollution.»

«On voit chaque fois la même chaîne de commentaires se former, où chacun approuve l'autre à tour de rôle, en utilisant constamment les mêmes arguments, par exemple : si on ne peut pas prédire le temps qu'il fera demain, comment peut-on prédire celui qu'il fera dans 10 ans?»

Double indentité?

Certains vont jusqu'à accuser les éco-sceptiques d'utiliser de fausses identités dans les blogues afin de donner des voix multiples à leur opinion, en s'approuvant eux-mêmes.

Le blogueur australien Tim Lambert (https://scienceblogs.com/deltoid) dit ainsi avoir découvert sur son site deux commentateurs qui n'étaient qu'une seule et même personne, le blogueur torontois Stephen McIntyre (www.climateaudit.org), cadre de l'industrie minière à la retraite. Les responsables du site environnementaliste RealClimate.org ont reçu de nombreux commentaires sceptiques provenant de la même adresse Internet -celle du Sénat américain.