«Sur Internet, personne ne sait que tu es un chien»: Telle est la promesse que faisait un chien à un congénère assis devant son ordinateur, dans une illustration du magazine New Yorker parue en 1993. À l'époque, Internet était encore confidentiel, et donc ignoré par les publicitaires. Même les pourriels n'existaient pas. Puis, un beau jour, tout a dégénéré et, de fil en aiguille, l'anonymat a disparu.

«Sur Internet, personne ne sait que tu es un chien»: Telle est la promesse que faisait un chien à un congénère assis devant son ordinateur, dans une illustration du magazine New Yorker parue en 1993. À l'époque, Internet était encore confidentiel, et donc ignoré par les publicitaires. Même les pourriels n'existaient pas. Puis, un beau jour, tout a dégénéré et, de fil en aiguille, l'anonymat a disparu.

Le réseau est aujourd'hui un médium publicitaire d'importance, et n'importe quel site qui accueille un minimum de visiteurs peut le monnayer à des annonceurs. Et plus il leur donne de détails sur les habitudes des internautes, plus il sera rémunéré. En fait, un visiteur dont on ne connaît aucun détail est même un gâchis de ressources. Aucun site à but lucratif n'a d'intérêt à vous garantir un anonymat total, bien au contraire. Voilà pourquoi vous n'en avez plus !

« Les gens se rendent rarement compte de la quantité d'informations qu'ils donnent sur eux-mêmes en naviguant de façon tout à fait normale, comme en consultant des moteurs de recherche », dit Michael Geist, chercheur en droit d'Internet à l'Université d'Ottawa. «Ces sites enregistrent toutes les miettes d'activités de chacun de leur utilisateur qui, une fois mises ensemble, dressent un portrait assez fidèle de la personne.»

«Ils» savent tout sur vous!

«Même si les lois nord-américaines interdisent de récolter des informations nominatives sur les internautes, leur historique de navigation donne assez d'indices pour deviner qui ils sont», poursuit M. Geist. Il donne l'exemple du moteur de recherche AOL, qui a divulgué accidentellement les profils de 658 000 internautes au mois de juillet. Des journalistes américains ont pu identifier plusieurs d'entre eux, uniquement par déduction d'après leurs habitudes de recherche.

«Cet incident a montré jusqu'à quel point les moteurs de recherche sont outillés pour étudier leurs visiteurs , dit M. Geist. Même s'ils respectent la loi, il n'est pas si difficile de réattribuer des données dont le contenu nominatif a été retiré.»

Le but de toutes ces récoltes de données, qui ont lieu depuis plusieurs années, n'a pas toujours été clair. On sait qu'elles peuvent aider à mieux cibler les consommateurs potentiels, mais les annonceurs sont loin d'en tirer tout le potentiel.

«Du point de vue d'un publicitaire, l'idéal est de pouvoir cibler les gens selon leur emplacement géographique et leur comportement en ligne. Les principaux moteurs de recherche s'apprêtent actuellement à lancer des outils qui donneront précisément ce pouvoir aux annonceurs», indique Gord Hotchkiss, président d'Enquiro, une agence d'achat publicitaire sur le Web située en Colombie-Britannique. «Les données qu'ils récoltent sur leurs visiteurs n'ont pas encore été utilisées à leur plein potentiel. Mais ça va venir très vite. Déjà, ils commencent à dire: «Nous ne sommes pas seulement des moteurs de recherche, nous sommes des entreprises de vente d'espace publicitaire.» On ne sait pas encore tout ce qu'ils sont capables de faire avec leurs données, mais une chose est sûre : ils font actuellement la course pour être le premier à l'offrir aux annonceurs.»

M. Tremblay aime les tondeuses

Ce qu'ils sont capables de faire aujourd'hui est déjà efficace. Il n'y a qu'à voir l'évolution exponentielle du chiffre d'affaires de Google, qui provient presque exclusivement de la vente de «mots-clés commandités» aux annonceurs. En fait, les dépenses des entreprises en publicité dans Internet augmentent sans cesse. Elles ont représenté 562 millions au Canada en 2005, selon le Bureau de la publicité interactive du Canada (iabcanada.com), qui prévoit qu'elles atteindront 801 millions cette année, soit près de 7 % du marché total de la publicité au Canada.

«Si M. Tremblay fait une recherche sur les tondeuses à gazon dans Google, MSN ou Yahoo !, l'agence de publicité a la capacité de recueillir cette information pour son client John Deere, par exemple, et faire en sorte que M. Tremblay trouve une publicité pour John Deere sur son écran lors d'une prochaine visite», explique Sébastien David, directeur de la planification stratégique chez Fjord, filiale de l'agence de publicité Cossette spécialisée dans le marketing interactif.

«Dans un proche avenir, on va pouvoir demander à Google, MSN ou Yahoo ! d'afficher une publicité à tous les hommes de 18 à 34 ans résidant à Montréal, par exemple. Ce sont des données qu'ils possèdent, mais qu'ils n'exploitent pas encore bien.»

Des outils pas si gratuits

Plus votre utilisation d'Internet est intense, plus on en sait sur vous. Mais les données les plus détaillées sont celles que collectent les outils de navigation ou de messagerie distribués gratuitement depuis plusieurs années par les principaux moteurs de recherche. Google Toolbar, MSN Hotmail ou Yahoo ! Messenger sont autant d'épuisettes à données personnelles, qui tirent profit de leur clientèle de façon indirecte.

«Bien sûr, ces outils collectent un tas de données et ils vous préviennent quand vous les téléchargez, même si c'est en petits caractères. C'est exactement pour ça qu'ils sont gratuits! dit Gord Hotchkiss. Même si beaucoup d'internautes se créent des fausses identités dans ces systèmes, ça ne fait aucune différence pour les annonceurs, puisqu'un client potentiel reste un client potentiel, quel que soit son nom d'emprunt.»

«Des outils aussi utiles ont forcément un prix, et le public doit savoir quel est ce prix , explique Michael Geist. Le problème, c'est que la plupart des gens l'ignorent.»

Et quand le public ne surveille pas ce que les publicitaires font de leurs données, c'est aux publicitaires de se surveiller eux-mêmes.

«Il n'y a même pas encore de réglementation gouvernementale précise au sujet d'Internet, à part la loi fédérale sur la protection de la vie privée», reconnaît Sébastien David. Mais on doit définir nous-mêmes un code d'éthique dans notre usage des données personnelles. On comprend la sensibilité des internautes vis-à-vis de leur vie privée, et on les prévient toujours de façon claire, quand on récolte leurs données sur un site Web, de l'usage qu'on va en faire. De toute façon, il vaut mieux ne pas être immoral dans ce jeu-là parce qu'à long terme, c'est mauvais pour l'image de nos clients et pour toute notre industrie.»