Des sites Internet, à la limite de la légalité, proposent des photographies d'enfants dans des poses suggestives.

Des sites Internet, à la limite de la légalité, proposent des photographies d'enfants dans des poses suggestives.

Sur la première photo, la petite fille, qui a tout au plus 11 ans, se tient sagement près d'un miroir, vêtue d'un pull à manches longues. Cette photo, parfaitement innocente, aurait pu être prise dans n'importe quel foyer. Mais la série se poursuit. Tiens, on voit soudainement qu'elle est vêtue d'un short de cuir noir ultracourt et ultramoulant. Et sur le dernier cliché, elle est à quatre pattes sur un lit, dans une pose classique de la pornographie.

Depuis un an, l'organisme canadien Cyberaide, reçoit de plus en plus de protestations du grand public concernant ce type de sites. « Ça représente environ 7 % des 11 000 plaintes que nous avons reçues depuis quatre ans. Et je dirais que nous en avons eu beaucoup plus dans la dernière année », indique Signy Arneson, directrice de Cyberaide.

«Nous avons eu des plaintes à ce sujet-là, et plusieurs dossiers sont sous enquête», ajoute Jean-François Néron, enquêteur à l'unité de cybersurveillance de la Sûreté du Québec.

Mais il ne sera pas nécessairement évident de sévir. Car sur les 25 photos qu'on retrouve sur Internet, jamais cette petite fille au short de cuir n'est nue. Jamais elle ne se livre à une activité sexuelle. S'agit-il de pornographie infantile? Il y a là une zone grise de la loi, dans laquelle se sont engouffrés des dizaines de gestionnaires de sites. Quelques clics sur la Grande Toile suffisent en effet pour dénicher des centaines de petites filles, dont la plupart ont de 8 à 10 ans, qui posent lascivement en sous-vêtements ou en t-shirt mouillé.

De bien curieux mannequins

Prenez le site childmodel.com, par exemple. Le site affirme faire la promotion de jeunes «mannequins». Ce sont d'ailleurs les parents qui envoient les premières photos au site. S'ils sont jugés «prometteurs» un site Internet est ensuite monté au nom des enfants et les usagers doivent payer 25 par mois pour y accéder. On accorde aux parents un pourcentage des bénéfices réalisés.

La page d'accueil du site montre, pour appâter des clients, des photos de dizaines de petites filles. Bambi, par exemple, une petite fille d'au plus 9 ans, est photographiée en bikini, une main sur les hanches, cheveux au vent et regard défiant. Un autre cliché la montre dans un attirail ultramoulant, à quatre pattes. Bobbie, âgée de 11 ou 12 ans, pose en sous-vêtements dorés, dans un fauteuil de velours rouge, une jambe nonchalamment posée sur l'accoudoir.

«Nous ne publions pas de photos de nus ou à caractère sexuel. Si la nudité ou le contenu à caractère sexuel vous intéresse, vous êtes au mauvais endroit. Nous respectons les lois des États-Unis», précise le site. Est-ce vrai? Tant aux États-Unis qu'au Canada, il n'est pas évident que ce type de site soit illégal. Le Code criminel canadien prohibe la représentation de toute personne de moins de 18 ans qui se livre à une activité sexuelle ou dont on peut voir les organes génitaux. Or, la plupart des sites consultés par La Presse ne satisfont pas à ces deux critères.

Mais tout est une question de contexte, précise le criminaliste Jean-Claude Hébert. «Il faut relier la scène à un contexte et c'est ce contexte qui va permettre de déterminer s'il y a pornographie», explique-t-il. L'avocat estime que les amateurs de pédophilie exploitent habilement les failles de la loi: «Ils jouent sur la ligne et deviennent très imaginatifs parce qu'ils connaissent maintenant les canaux d'action de la police.»

Sheila Sellinger, résidante de l'Illinois, a d'ailleurs été condamnée à 12 ans de prison, le mois dernier, pour avoir vendu des photos de sa fille de 10 ans sur un site Internet qui présentait de telles collections de petits «mannequins» légèrement vêtus.

Une récente enquête du New York Times montrait que ces sites sont très populaires sur les forums de discussion fréquentés par des pédophiles. «Je considère les gestionnaires de ces sites comme les leaders du mouvement de rébellion pour la pornographie infantile», déclarait un usager nommé Heartfallen, qui déplorait d'un même souffle la diminution du nombre de sites pornographiques présentant des enfants.

Un rapport produit il y a quatre ans par trois experts pour le compte de l'UNESCO mettait déjà le doigt sur ce problème. «Seule une partie des images que collectionnent les cyberpédophiles est clairement illégale«, écrivaient Max Taylor, Ethel Quayle et Gemma Holland. Les auteurs soulignaient également que, dans les banques d'images saisies par la police, les petites filles sont toujours plus jeunes et sont de plus en plus souvent photographiées dans un endroit qui semble être leur propre domicile.

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