Le courriel est alarmant : il reste peu de temps à vivre à la pauvre Satouh Fouday. Son riche époux a été assassiné et personne ne peut prendre en charge son fils unique et sa fortune qui dort dans une banque africaine. Un malheur comme il s'en fait peu. Pourtant, force est d'admettre que probablement vous avez fait la sourde oreille à cet appel à l'aide.

Le courriel est alarmant : il reste peu de temps à vivre à la pauvre Satouh Fouday. Son riche époux a été assassiné et personne ne peut prendre en charge son fils unique et sa fortune qui dort dans une banque africaine. Un malheur comme il s'en fait peu. Pourtant, force est d'admettre que probablement vous avez fait la sourde oreille à cet appel à l'aide.

À moins qu'il ne s'agisse de la pauvre Kabie Elvire et de son garçon Victor, en Côte-d'Ivoire. Son histoire est tout aussi déchirante, à quelques détails près. Ou encore de Chantal Kouakou qui vient tout juste de perdre son père, le mystérieux mais non moins richissime Dr Kouakou Bah Théodore, un diamantaire du Sierra Leone. Et que dire des 4 millions $ que jurent vouloir partager Amina Rashid et son fils Osman, toujours en Côte - d'Ivoire.

Comment rester insensible alors qu'ils implorent tous notre simple, mais si précieuse collaboration ? Surtout quand on sait que leur choix s'est arrêté sur nous après de «longues nuits d'angoisse et de prières». En plus, l'effort paraît minime pour les gains annoncés au terme de cette transaction avec ceux qui se proclament nos nouveaux copains. Pourquoi résister plus longtemps ?

Un simple transfert de fonds de leur lointain pays à notre compte, puis le retour du montant sous forme de chèque - avec pour l'intermédiaire chanceux une généreuse commission - et l'affaire est réglée. Le pactole sans une goutte de sueur, le tout pour une véritable cause humanitaire. Trop beau pour être vrai ? Effectivement.

De toute façon, qui se laisserait berner par de telles histoires aussi abracadabrantes ? Pourtant, ici comme ailleurs, des gens s'y sont fait prendre et ont perdu d'importantes sommes d'argent. Et ça continue.

«C'est ce qu'on appelle de la fraude nigérienne», décrit le sergent Charles Proteau, enquêteur pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC) dans la région de Québec. Un nom qui tire son origine de la provenance du concept derrière le piège frauduleux. «Chaque semaine, on nous signale ce genre de courriel !» Si elle existe depuis le milieu des années 80 - à cette époque par télécopieur - , l'arnaque nigérienne et ses variantes se portent toujours aussi bien.

Peut-être même un peu mieux grâce à l'efficacité du courriel. À preuve, un homme a été condamné à huit ans de prison aux États-Unis en mars 2005 pour avoir soutiré frauduleusement 2,1 millions $ à l'aide de ce stratagème.

«Il y a différentes formes», raconte le sergent Proteau. Habituellement, un courriel en provenance d'une personne en détresse ou encore d'un membre d'un gouvernement invite les «investisseurs» à collaborer pour dégeler des comptes bancaires bien garnis. Dans l'opération, ils sont amenés à verser des «frais» de plusieurs milliers de dollars dans d'autres comptes ou à des individus, en échange d'une alléchante part du gâteau. Un profit qui ne se concrétisera évidemment jamais.

Réalité-fiction

Il faut dire que les arnaqueurs savent se faire convaincants. «La première fois que j'ai reçu le courriel, c'était en 1999», raconte René Côté, spécialiste en droit de l'informatique et doyen de la faculté de sciences politiques et de droit à l'UQAM. L'appel à l'aide de ce ministre aux prisex avec un coup d'état avait tout pour être crédible.

«Avec Internet, c'est facile. J'avais vérifié les faits et tout collait !» Heureusement, M. Côté n'a pas cru qu'on pouvait sérieusement vouloir lui offrir tant d'argent sans raison. «Pourquoi un quidam se ferait contacter par un ministre ?», questionne judicieusement l'universitaire.

Jouant la victime potentielle, LE SOLEIL a ainsi reçu une série de documents qui tentaient d'encourager une éventuelle transaction. Courriels amicaux, photos de famille, lettre d'appui du pasteur local, récits détaillés de troubles de santé qui pressent la transaction ou encore de «vrais faux» documents bancaires ont été acheminés au journaliste qui répondait candidement à l'appel de détresse.

En retour, toujours cette même politesse, ce même empressement :

«Bonjour cher Frère, je me suis rendu à la banque afin de rencontrer le directeur M. Adou Guy Kouazan. Selon lui, il est préférable que vous me transmettiez vos différentes coordonnées de domicile et surtout sur votre banque. (...) Cela permettra de leur côté d'entamer le transfert des fonds de leur banque vers la vôtre. Comprenez que malgré ma maladie, je fais des efforts pour parcourir de longues distances afin d'avoir ces informations. De votre côté, essayez de les joindre par n'importe quel moyen soit par courriel ou par téléphone. (...) Ta soeur Kabie et son fils Victor.»

Touchant

Pourtant, si la banque de Kabie Elvire existe belle et bien à Abidjan, son numéro de téléphone et le courriel du contact suggéré ne correspondent en rien avec les coordonnées officielles de l'institution...

Sûrement plus habiles, d'autres fraudeurs par courriel ont réussi, il y a quelques années, à attirer un couple de Toronto jusqu'à eux, assure le sergent Charles Proteau. Invités à faire le voyage transatlantique pour compléter la transaction avec des «dignitaires» du gouvernement, ils ont été accueillis en grande pompe, limousine et tout.

«Quand ils ont commencé à comprendre dans quoi ils s'étaient embarqués, ils n'ont pas voulu verser d'argent. Ils ont été battus ! C'était du sérieux !», dit l'homme de la GRC qui affirme que le pauvre duo s'en est tiré de justesse. Dans une autre histoire relatée dans Internet, un Américain aurait par ailleurs été assassiné à la suite d'une démarche semblable.

Malheureusement, les corps policiers ne peuvent pas faire grand chose, tant ces criminels sont difficiles à retracer derrière le camouflage du cyberespace et des télécommunications sans fil. Aussi, souvent gênées de s'être fait prendre, les victimes hésitent à porter plainte.

Histoires actuelles

«Plus c'est exclusif, plus ç'a des chances de marcher», fait remarquer René Côté pour expliquer la surprenante longévité de la fraude de type nigérienne. Avec Internet, le marché s'est élargi et le bassin de victimes est immense. Puis l'histoire évolue.

Avec ses diamants, son pétrole et ses guerres civiles en arrière-scène, la situation géo-politique de l'Afrique se prête bien à la création de récits crédibles, rappelle M. Côté. Mais de nos jours, l'arnaque est reprise à toutes les sauces et de partout. Une série mettant en scène des victimes de la guerre en Irak est actuellement en circulation.

Un type de pourriel qui est loin de disparaître pensent les spécialistes. Surtout que le bénéfice net est grand quand on pense aux coûts minimes associés à ce genre d'entreprise virtuelle, souvent menée de façon massive à partir de simples cafés Internet. «C'est une grosse business», averti Hugo Dominguez, directeur de la sécurité au Service informatique et des télécommunications de l'UQAM. Et surtout une business difficile à enrayer, juge-t-il. «C'est sûr qu'on pourrait tout bloquer... Mais notre lutte contre le spam est une question de trouver le juste équilibre.»

Ce qui remet la responsabilité à l'internaute pour qui la prudence est plus que jamais de mise, alors que les techniques pour le piéger se raffinent. Mais évidemment, pour cela il faut savoir résister à l'appel de Satouh, Kabie ou Chantal, et surtout à celui du gain. Un mirage qui en a malheureusement aveuglé plus d'un.