Ceux qui criaient «libarté» dans la rue à la défense de Jeff Fillion et qui trépignent à l'idée de l'écouter sans limites dans Internet vont vite déchanter. Le Web ne le met pas - quiconque, en fait - hors de portée de la loi. Même le principal intéressé le reconnaît : «Je n'aurai pas une liberté d'expression totale.»

Ceux qui criaient «libarté» dans la rue à la défense de Jeff Fillion et qui trépignent à l'idée de l'écouter sans limites dans Internet vont vite déchanter. Le Web ne le met pas - quiconque, en fait - hors de portée de la loi. Même le principal intéressé le reconnaît : «Je n'aurai pas une liberté d'expression totale.»

Les propos qui lui ont coûté son micro à CHOI lui vaudraient autant de poursuites pour libelle dans Internet. Les règles relatives à la vie privée et à l'obscénité sont tout aussi applicables que sur les ondes publiques.

La seule différence réside dans la nature des ondes - qu'on dit «publiques», ce n'est pas pour rien - et qui sont donc régies par le CRTC. Bien que le CRTC considère la webradio comme de la radiodiffusion, il a jugé, il y a déjà six ans, qu'il n'était pas nécessaire de réglementer le contenu pour l'instant.

Parce qu'il s'agit d'un épiphénomène qui n'affecte pas - pas encore - la radio traditionnelle. En temps et lieu, toutefois, ses commissaires devront revoir le cadre réglementaire, reconnaît-on.

Autrement dit, il y a quand même une ligne «mince» à ne pas franchir, dont les contours sont flous en plus, juge Jeff Fillion. «La ligne, je la connais et je ne la connais pas.»

Autre zone grise, celle qui concerne les droits d'auteur à verser pour la gestion d'une webradio. Tant la SOCAN, qui gère le droit d'exécution publique, que la SODRAC, responsable des droits de reproduction, ont déposé des demandes de tarifs auprès de la Commission des droits d'auteur - qui va statuer éventuellement, mais pas avant 2007.

En attendant, les webradios doivent détenir une licence en s'entendant avec les organismes concernés. Même avec un nom comme RadioPirate, Jeff Fillion a l'intention d'être en règle. Après tout, ça sort directement de sa poche.

La prudence sera probablement de mise aussi dans ses commentaires, même si les tribunaux canadiens ont statué que, comme les journaux, Internet jouit de la plus haute protection reconnue pour la liberté d'expression. Mais liberté d'expression n'est aucunement synonyme de permission de diffamer.

Ce qui n'a rien à voir avec la rectitude politique à la mode : les tribunaux vont toujours finir par trancher ce qu'il est tolérable de dire en société et ce qui ne l'est pas.

Quelles frontières ?

Toutefois, la webradio sous-tend une nouvelle problématique. Alors que la diffusion était auparavant circonscrite, Internet fait exploser les frontières de la territorialité du droit. «Si, par exemple, il se fout de la gueule du propriétaire de Danone (une compagnie française), celui-ci va-t-il le poursuivre (et devant quel tribunal) ?» demande Michel Dumais, un «observateur» averti des nouvelles technologies.

Déjà, les tribunaux canadiens ont été saisis d'une cause qui oppose un citoyen au Washington Post parce que l'article incriminé était diffusé dans le site Web du quotidien.

Fillion peut toujours plaider qu'il fait «des erreurs» dans le feu de l'action. Fort bien, mais la répétition, qui blesse les individus et les amène à poursuivre ? «Je suis un Claude Lemieux, pas un Wayne Greztky. Je connais mes limites et je vais dans les coins.»

Autrement dit, c'est son style et il l'assume. Mais, avec l'âge et les poursuites, on devient moins fougueux, d'aucuns écriraient moins vicieux. «J'éliminais de plus en plus les écarts de conduite. C'est sûr que je vais en faire. Mon souhait, c'est d'en faire le moins possible.»

Promesse d'ivrogne ? Par la force des choses, Fillion sera plus prudent, pour deux raisons : il est son propre producteur et il a besoin de partenaires. «J'en veux pas, de poursuites : j'ferai pas des millions», lance-t-il.

Ça, c'est le producteur qui parle. Quant à l'homme d'affaires, il veut garder le profil bas pour ne pas effrayer des compagnies intéressées à son auditoire, mais pas aux controverses.

Un Fillion pas de dents, vraiment ? Chassez le naturel, il revient au galop : «Si tu enlèves les 2 % de maladresses, tu perds le 25 % du reste. Quand ton naturel fiche le camp, tu ne te démarques pas.»

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