«Quand j'avais fini d'éplucher mon courrier électronique, je n'avais plus l'énergie de travailler».

«Quand j'avais fini d'éplucher mon courrier électronique, je n'avais plus l'énergie de travailler».

Même dans son sommeil, Steve Robbins ne pouvait échapper à ses courriels. «J'étais englouti sous une tonne de courriels, raconte ce cadre de 41 ans. Moi qui n'avais jamais souffert de cauchemars, voilà que mon tout premier était habité de milliers de courriels. C'est pathétique.»

Dans sa vie «éveillée», au sein de la firme de consultants où il travaillait, M. Robbins devait parfois parcourir jusqu'à 120 courriels par jour, la plupart de son patron. «Quand j'avais fini d'éplucher mon courrier électronique, je n'avais plus l'énergie de travailler», dit-il.

C'est à ce moment qu'il a décidé de faire parvenir à son patron et à ses collègues une liste de conseils afin de mieux gérer les courriels. Devant l'indifférence générale, il a démissionné pour devenir travailleur autonome. Maintenant, il aide les cadres à améliorer leur performance au travail, notamment par un meilleur contrôle du courrier électronique. «J'ai quitté mon emploi, avoue-t-il, en raison du stress qui était causé presque uniquement par les courriels.»

Il n'y a pas si longtemps, l'avènement du courrier électronique semait l'euphorie partout sur la planète. Les utilisateurs se ruaient vers leur ordinateur avec excitation, ponctuant leurs courriels d'émoticônes. Les gens se grattaient la tête en se demandant comment ils avaient pu se passer d'un tel outil dans leur vie antérieure.

Il s'agit désormais d'un mode de communication incontournable, dont le volume est passé de 5 millions de messages en 2000 à 135 millions en 2005, selon la firme de recherche Radicati Group. Mais les courriels causent autant de problèmes que de plaisir. Leur utilisation force de plus en plus de patrons, d'employeurs et de travailleurs à chercher des moyens de contrôler ou d'encadrer le flot de courriels.

«Vous devez apprendre à utiliser intelligemment votre courrier électronique, sinon il peut ruiner votre vie», lance David Strom, directeur d'un site de veille technologique.

Stress et panique

Les courriels causent différentes situations de stress, qui vont de la panique que peut susciter l'envoi d'un message compromettant à la mauvaise personne, au malaise ressenti quand un courriel reste lettre morte. La manie du cc (copie conforme) suscite également de l'angoisse puisque tous veulent répondre immédiatement. Même les vacances sont menacées avec la prolifération des ordinateurs portables et des cafés Internet.

La popularité grandissante des téléphones cellulaires et des gadgets comme le BlackBerry accentue le déluge de courriels. Sans oublier les pourriels, qui semblent toujours avoir un pas d'avance sur les filtres les plus étanches.

Les boîtes de courriels qui débordent représentent le summum du stress électronique. Certaines personnes reçoivent tous les jours environ 150 messages, d'autre jusqu'à 50 à l'heure, en période de pointe.

«Quand vous passez à travers votre courrier électronique, vous avez le sentiment du devoir accompli. Puis, vous vous connectez à nouveau et apercevez un petit chiffre à la gauche de l'écran annonçant l'arrivée de 200 nouveaux messages», déplore Anna Marta, une consultante qui offre des services de gestion aux artistes.

Parce que les courriels sont perçus comme la forme de communication la plus rapide, on croit toujours qu'il faut répondre immédiatement. «Ressentant cette pression, j'ai les épaules qui restent coincées à la hauteur de mes oreilles», avoue Mme Marta.

Accros?

Ce genre de comportement n'a rien d'étonnant aux yeux de la spécialiste en gestion du temps, Julie Morgenstern, qui a écrit le livre Never Check E-Mail in the Morning.

«Nous y sommes tous accros à un niveau ou à un autre, pense-t-elle à propos des courriels. Nous partageons la peur de perdre quelque chose d'important si on ne consulte pas régulièrement le courrier électronique. Si vous n'y répondez pas tout de suite, vous êtes incompétent. Votre client et votre patron voudront faire affaire avec un autre. C'est très stressant.»

L'écriture et le classement des courriels ont ajouté du temps supplémentaire - jusqu'à deux heures - au travail hebdomadaire. Une récente étude d'AOL a démontré que 41% des usagers consultent leur courrier électronique matin et soir; plus de 25% avouent ne pas être capable d'attendre plus de deux ou trois jours pour le consulter; 60% disent le faire durant les vacances; 4% le font même... au petit coin!

Cette furie a créé toute une industrie de consultants - incluant Microsoft - qui conseillent les entreprises sur la façon de gérer l'utilisation du courrier électronique pour ne pas affecter la productivité.

Une autre enquête menée auprès des compagnies indique que 55% d'entre elles «retiennent et révisent» le contenu des courriels de leurs employés et que 25% des 850 firmes interviewées ont congédié des employés qui ont enfreint leur politique sur les courriels.

Certaines compagnies conservent les courriels sur des CD, voire des DVD. Afin de se protéger, ainsi que leurs employés, la plupart des entreprises ont désormais un code d'utilisation du courrier électronique: pas de langage osé, pas de remarques discriminatoires ou diffamatoires; et aucune divulgation d'informations sur la compagnie.

Janis Fisher Chan donne des ateliers d'affaires sur le courrier électronique. Elle prévient tous ses clients des risques reliés aux courriels, notamment les atteintes à la vie privée des employés. «C'est comme s'emparer d'un porte-voix et aller crier sur le toit de votre édifice», conclut-elle.