Niantic, une startup de San Francisco née dans l'ombre de Google, a signé un succès planétaire avec Pokémon Go, mais l'engouement actuel peut-il déboucher sur un modèle économique durable ?

Le patron de l'entreprise de logiciels, John Hanke, a raconté l'avoir baptisée en mémoire d'un baleinier abandonné par son équipage parti chercher fortune pendant la ruée vers l'or.

Le Niantic avait été ramené à terre et transformé en magasin dans ce qui deviendrait plus tard San Francisco. Son épave, comme celle de dizaines d'autres navires, est toujours enterrée sous le centre-ville, à l'insu de beaucoup d'habitants.

D'où l'idée en 2010 de donner son nom à un projet dévoilant des choses cachées autour des utilisateurs en combinant cartographie mobile, jeu vidéo et réalité augmentée.

John Hanke, un multi-entrepreneur originaire du Texas, travaille à l'époque pour Google, qui a racheté six ans plus tôt Keyhole, sa dernière startup. Keyhole a servi de fondation à Google Earth et de fil en aiguille, John Hanke s'est aussi retrouvé chargé des autres produits de cartographie du groupe comme Maps ou StreetView.

Cet amateur de jeux vidéo veut dépasser les simples cartes et utiliser la géolocalisation comme base d'interactions ludiques. Il envisage de partir recréer une startup, mais lance finalement son projet en interne.

« Rester chez Google nous a donné l'avantage de pouvoir exploiter les données de [la division de cartographie] Geo et l'infrastructure de Google », reconnaissait-il en 2012 dans le magazine Inc.

3 milliards de dollars ?

Le projet Niantic débouche en 2011 sur une première application mobile, FieldTrip, un guide interactif qui géolocalise l'utilisateur et l'informe sur des sites ou curiosités à proximité.

C'est surtout Ingress, lancé l'année suivante et depuis téléchargé plus de 15 millions de fois, qui préfigure Pokémon Go. Ce jeu propose déjà d'explorer le monde réel à la recherche d'éléments virtuels : à l'époque, il ne s'agit pas encore d'attraper le mythique Pikachu, mais de contrôler des « portails » surnaturels.

En 2015, Google se réorganise avec une nouvelle holding, Alphabet. Niantic en profite pour devenir une société indépendante, où The Pokémon Company et Nintendo rejoignent Alphabet au capital. Les trois actionnaires promettent jusqu'à 30 millions de dollars d'investissements.

Niantic dit aujourd'hui employer plus de 50 personnes. Elle ne divulgue pas son chiffre d'affaires, mais certains analystes estiment la valeur de l'entreprise à plus de 3 milliards de dollars.

Encore va-t-il falloir justifier cette valorisation en prouvant que Pokémon Go n'est pas juste une passade estivale, et qu'il peut faire gagner de l'argent.

C'est assez bien parti : la plateforme Sensor Tower a chiffré à plus de 200 millions de dollars les recettes du jeu sur son premier mois.

Ce sont surtout à ce stade des achats d'accessoires virtuels par les joueurs, mais Niantic mise aussi sur les entreprises.

Commandite

Des commerces situés près des Pokéstops achètent déjà les leurres proposés aux joueurs pour y attirer davantage de Pokémons, avec l'espoir que leurs chasseurs en profitent pour dépenser de l'argent chez eux, a noté John Hanke lors d'une conférence organisée récemment par le site dédié aux technologies Venture Beats.

À terme, il a parlé de « développer une activité qui serait un complément des achats à l'intérieur de l'application », avec « un modèle de commandite ».

Ingress a déjà des portails hébergés dans des centres commerciaux ou des agences Axa par exemple, et Pokémon Go un partenariat avec McDonald's au Japon.

John Hanke a évoqué des discussions prometteuses avec « un groupe d'autres entreprises qui veulent tirer profit de ce modèle pour Pokémon Go dans d'autres parties du monde ».

Et de souligner que, « parce qu'on peut attirer les gens dans des endroits physiques, on peut faire quelque chose que ne peuvent pas faire beaucoup d'autres formes de publicité ».

Ces déplacements physiques créent toutefois aussi des problèmes susceptibles de pénaliser le jeu et l'entreprise. Un nombre croissant de sites refusent de servir de terrain de chasse aux Pokémons. Aux États-Unis, des recours collectifs se profilent après de premières plaintes de propriétaires privés lassés que des joueurs se présentent chez eux.

Les liens avec Google pourraient également se retourner contre Niantic : l'organisation de protection de la vie privée Epic a ainsi réclamé une enquête de la FTC sur la collecte des données des joueurs, rappelant les nombreuses controverses suscitées par StreetView.