Votre boîte de courriels est inondée depuis quelques semaines de propositions d'affaires chinoises, de rabais sur des sacoches et de suggestions coquines? Vous n'avez pas la berlue: l'internet est assailli depuis fin juin par une vague de pourriels d'une rare intensité.

«UNE VRAIE PLAIE»

Depuis 2010, la plupart des experts informatiques avaient noté que les pourriels semblaient en perte de vitesse, notamment à cause de l'efficacité des filtres et, au Canada, de l'instauration de la Loi canadienne antipourriel. En 2016, la trêve est terminée, constate Éric Parent, enseignant à Polytechnique Montréal et PDG de Logicnet, une entreprise spécialisée en cybersécurité. « Il y a une recrudescence de fou, c'est une vraie plaie ! dit-il. Il y a eu un ralentissement, des cybercriminels ont été arrêtés, mais là, on dirait qu'ils n'ont plus peur. »

Même constat du côté de l'entreprise Cyberimpact, où l'associé Jean-Francis Lalonde précise que ses techniciens ont noté « une agressivité étonnante » des pirates informatiques. 

LES FAITS

Quelques rares publications spécialisées avaient noté une recrudescence de l'envoi de pourriels en 2016. Mais c'est une analyse de l'entreprise informatique Cisco, publiée le 21 septembre dernier, qui a fourni des preuves claires de cette invasion. Essentiellement, à partir d'un échantillon des courriels transitant par des milliers de serveurs, on a établi depuis 2009 le volume du trafic sur l'internet. Le tableau ainsi obtenu est clair : le « flux » de courriels est reparti à la hausse depuis février 2016. Or, on estime que 90 % du « flux » provient des pourriels, qui expliquent donc en bonne partie cette hausse. Le même constat a été fait sur le nombre d'adresses IP bloquées par les serveurs analysés : de 100 000 en moyenne, on a grimpé à 300 000 à la fin du mois juin, puis à 450 000 le mois dernier.

SOMMET ET PLAINTES

Selon Pedro Cabezuelo, responsable des communications chez Cisco Canada, « les campagnes d'envoi de pourriels en 2016 ont atteint un niveau qui n'avait pas été vu depuis le début de la décennie ».

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), chargé de l'application de la Loi canadienne antipourriel, note lui aussi une hausse des plaintes par rapport à l'an dernier. « On en reçoit plus de 1000 par jour », précise Manon Bombardier, cadre en chef de la conformité et des enquêtes au CRTC. Difficile cependant d'établir un lien clair entre la hausse du nombre de pourriels et les plaintes. « La hausse peut être liée à plusieurs facteurs, notamment le fait que les Canadiens sont plus sensibilisés au phénomène », indique Mme Bombardier.

LA FILIÈRE RUSSE... OU AMÉRICAINE

Pourquoi cette invasion ? Essentiellement à cause d'un réseau d'ordinateurs zombies appelé Necurs. Ces ordinateurs qui ont été infectés par un virus, parfois il y a plusieurs années, sont à leur tour utilisés pour l'envoi de pourriels. Fait intéressant, note Jaeson Schultz, de Cisco, une accalmie sur l'internet a suivi une vague d'arrestations qui a frappé des cybercriminels russes en juin 2016. « Quelques semaines plus tard, alors qu'on s'apprêtait à célébrer au champagne, le réseau Necurs est revenu », écrit sur son blogue officiel M. Shultz. Necurs est notamment derrière un rançongiciel tristement célèbre, Locky, qui a contribué à faire de cette catégorie de virus la plus grande cybermenace en 2016.

Éric Parent, de Logicnet, a toutefois une autre théorie : l'utilisation par les pirates des méthodes d'intrusion de la NSA, qui ont été « coulées » sur le web fin août. « Je ne peux le prouver... mais le timing est intéressant. »

QUELQUES CHIFFRES

1641

Nombre quotidien d'attaques de rançongiciels au Canada en 2015, selon un rapport de la firme Symantec

6 millions

Nombre de types de rançongiciel distribués dans le monde. En 2011, ce chiffre était de 6000.

Facture

Selon un rapport de Cisco, c'est la formule de pourriel la plus utilisée pour piéger l'internaute, avec 95 variantes. Le virus se cache dans la pièce jointe.

205 milliards

Nombre de courriels qui seraient envoyés tous les jours sur l'internet. Jusqu'à 90 % seraient des pourriels.

700 000

Nombre de signalements de pourriels envoyés par des Canadiens au CRTC, en vertu de la Loi antipourriel en vigueur depuis le 1er juillet 2014

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), chargé de l’application de la Loi canadienne antipourriel, reçoit plus de 1000 plaintes par jour à propos des pourriels.