Chaque jour au Canada, 1600 attaques de rançongiciels auraient lieu. Mots de passe et dossiers confidentiels volés font régulièrement l'actualité, stimulant la recherche de nouvelles approches pour assurer la sécurité des réseaux. L'une d'elles, conçue à l'Université de Cambridge et imitant le système immunitaire humain à partir des mathématiques probabilistes, semble prometteuse. Elle est proposée depuis 2013 par l'entreprise britannique Darktrace, qui a ouvert en avril dernier son bureau canadien, dirigé par l'ex-agent des services secrets David Masson. Entrevue.

D'abord, pourriez-vous vous présenter?

J'ai été membre du service de renseignement britannique, le MI5, pendant plus de 20 ans, puis j'ai travaillé au sein du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pendant quatre ans. Je m'occupais de cybersécurité et de sécurité nationale en général. Je me suis ensuite joint à la compagnie Darktrace en janvier de cette année, après une invitation à établir un bureau ici, au Canada.

Expliquez-nous l'approche de type « système immunitaire » au coeur de la technologie proposée par Darktrace.

J'aimerais utiliser une métaphore. On a pris le modèle du système immunitaire humain. La première protection, c'est ma peau. Pour un réseau, c'est le pare-feu. Mais ce n'est pas assez, j'ai besoin d'un système immunitaire à l'intérieur qui a une compréhension innée de mon corps. Au moment où quelque chose traverse la peau, mon système immunitaire sait immédiatement que ce virus ou cette bactérie ne fait pas partie de moi.

Comment votre « système immunitaire pour entreprises » reconnaît-il les anomalies?

Il n'a pas besoin d'une formation, n'a pas besoin de recevoir des indications, il est sans cesse à l'écoute. Il comprend le comportement normal des utilisateurs et peut repérer ce qui ne fait pas partie du fonctionnement habituel du réseau. Il apprend par lui-même, sans intervention humaine. C'est nécessaire parce que les réseaux ne sont pas statiques, ils se développent sans cesse, ont des visiteurs, de nouveaux membres. Un humain ne pourrait pas gérer toute cette information. Un ordinateur, lui, le peut.

Le concept est séduisant. Mais est-ce que ça fonctionne? Est-ce plus efficace que les antivirus et les protections informatiques classiques?

On a toujours besoin des pare-feu et des antivirus. Notre technologie est supplémentaire. Ça marche, absolument : on a trouvé des menaces que les autres méthodes n'avaient pas détectées. La technologie actuelle est basée sur les signatures et les règles. Une signature signifie que quelque chose de mauvais est déjà passé. C'est de la vieille nouvelle, en quelque sorte. Ça ne vous protégera pas contre les menaces qui n'ont pas encore frappé.

Les fameuses vulnérabilités « Zero day », pour lesquelles il n'existe pas encore de protection...

Oui, les « Zero day », ou une menace qui a déjà traversé le pare-feu, qui existe à l'intérieur du réseau. Un employé qui a cliqué sur un lien sans savoir ce qu'il a fait et a téléchargé un virus, ou un employé qui a décidé de faire des dommages à l'organisation...

Êtes-vous la seule entreprise à utiliser cette approche du système immunitaire?

Il y en a d'autres, mais nous sommes la seule qui utilise l'apprentissage automatique non supervisé, avec une approche mathématique appelée « estimation récursive bayésienne » [qui évalue les probabilités d'un événement].

Quelles sont les cybermenaces les plus dangereuses en 2016 ? Quel est l'état des lieux?

Il y en a deux types. Les rançongiciels sont un grand problème partout dans le monde, ils peuvent frapper partout, les statistiques indiquent que le phénomène va aller en s'aggravant. Parce que c'est facile à effectuer pour les pirates : ils entrent, brisent tout et prennent l'argent.

Et le deuxième type?

L'autre danger, ce sont les menaces intérieures. Un employé qui décide de faire des dommages, qui fait des erreurs... Toutes les entreprises peuvent être touchées. Si 99 % des employés ne représentent aucune menace, le 1 % qui reste peut causer beaucoup de problèmes.

Darktrace en bref

Bureau ouvert à Toronto en avril 2016 comptant une dizaine de clients canadiens (santé, finances, énergie)

Plus d'un millier d'organisations dans le monde utiliseraient l'Enterprise Immune System, selon Darktrace

Fondée en 2013 par une équipe de mathématiciens et d'experts en apprentissage automatisé de l'Université de Cambridge, en Grande-Bretagne, associés à d'anciens employés des services de renseignement britanniques.

Compte 300 employés, répartis dans 20 bureaux dans le monde, notamment à San Francisco, Londres, Paris, Séoul et Washington

Valeur estimée à 309 millions de livres sterling, soit 539 millions de dollars