On le disait moribond, condamné à prendre la poussière dans les greniers et les musées. Vingt ans après l'arrivée d'internet, le télécopieur n'a pourtant toujours pas pris sa retraite, même si son horizon s'est rétréci.

Échanges entre administrations, envoi de documents bancaires ou de contrats... «Des millions de personnes continuent à utiliser le télécopieur chaque jour dans le monde», explique à l'AFP Jonathan Coopersmith, professeur à la Texas A&M University et auteur d'un ouvrage sur l'histoire de cet objet.

Plus surprenant encore: des machines neuves continuent à se vendre, aux entreprises comme aux particuliers. «Les ventes baissent régulièrement à cause des courriels. Mais le marché est loin d'avoir disparu», confirme Nicolas Cintré, directeur adjoint France de Brother, entreprise japonaise leader du secteur.

En 2005, les professionnels du secteur estimaient les ventes mondiales à 20 millions par an. Aujourd'hui, elles tournent sans doute autour de quelques millions. «Le marché résiste. Ceux qui prédisaient la mort du télécopieur voilà dix ans se sont trompés», estime M. Cintré.

À l'origine de cette résistance inattendue: l'attachement de certains utilisateurs à la télécopie», notamment chez les «générations les plus âgées». «Il y a des habitudes qui perdurent. Le télécopieur sert alors d'élément d'appoint en cas de pannes informatiques», explique le responsable de Brother.

Le force des habitudes, cependant, n'explique pas tout. «Le télécopieur permet d'envoyer des documents signés, considérés comme authentiques, ce qui n'est pas le cas des courriels», explique Jean Champagne, directeur général de Sagemcom Canada, filiale du groupe français de télécoms Sagemcom, chargée des services liés au télécopieur.

Dans le milieu des affaires, mais aussi dans le monde médical ou dans les tribunaux, les télécopies restent ainsi privilégiées pour l'envoi de données confidentielles ou bien sensibles. «Il est quasiment impossible d'intercepter des transmissions par télécopieur. Les documents ne peuvent pas être manipulés», insiste Jean Champagne.

Tous les pays, face au télécopieur, ne sont pas logés à la même enseigne. Aux États-Unis, les télécopieurs ont ainsi quasiment disparu de la circulation -- Xerox, considéré comme l'inventeur du premier modèle de machine grand public, a d'ailleurs arrêté voilà plusieurs années de commercialiser des télécopieurs simples.

Au Japon, où le télécopieur est depuis des décennies un appareil indispensable à tout foyer, le télécopieur reste à l'inverse très largement utilisé. En 2011, c'est d'ailleurs au télécopieur qu'ont eu recours les autorités pour communiquer une partie des informations lors de l'accident nucléaire de Fukushima.

«Pour beaucoup de gens et petites entreprises, télécopier une note manuscrite est plus simple que taper un document sur l'ordinateur», souligne Jonathan Coopersmith, qui insiste sur l'attachement des Japonais à la télécopie, plus adaptée à l'écriture de leur langue.

En 2014, près de 1,2 million de télécopieurs/téléphones pour particuliers ont ainsi été écoulés dans l'archipel. Et en 2015, un total de 1,1 million devraient être vendus, selon l'association japonaise des industriels des l'information, des communications et des réseaux.

«L'usage des télécopieurs se réduit avec l'adoption massive des ordinateurs et téléphones intelligents, mais les plus de 60 ans qui ne sont pas familiers de ces nouveaux outils préfèrent le télécopieur», insiste Miyuki Nakayama, porte-parole du fabricant d'électronique Sharp.

Et en Europe? «On est sur un marché intermédiaire», souligne Nicolas Cintré. En France, près de 40 000 télécopieurs ont ainsi été vendus en 2013, selon l'institut GfK. Sans compter les machines «quatre en un» (imprimante, numériseur, photocopieur et télécopieur), de plus en plus présentes sur le marché.

Car face au lent déclin de la télécopie, nombre de fabricants ont décidé de s'adapter. Certains, comme Brother, en misant sur les machines multifonctions. D'autres en pariant sur les solutions logicielles de télécopieur par internet, permettant d'envoyer des télécopieurs sous forme de pièce jointe intégrée dans un courriel.

«C'est un domaine en plein essor», assure Jean Champagne, de Sagemcom Canada, qui évoque des chiffres de croissance «de près de 20 % par an» pour les ventes de ces «faxware».

De quoi préserver définitivement le télécopieur de la mort qui lui semblait promise? «Tant que le cadre légal et juridique du télécopieur sera maintenu, il résistera», estime M. Champagne. Un avis partagé par Jonathan Coopersmith: «le déclin du télécopieur va se poursuivre avec la mort de ses anciens utilisateurs, mais il ne disparaîtra pas», pronostique l'historien.