En recrutant chez Burberry et Yves Saint-Laurent, Apple poursuit sa stratégie consistant à miser énormément sur son image de marque et le design exclusif de ses produits pour les vendre.

Le géant informatique américain a chargé mardi Angela Ahrendts, la patronne de Burberry, de «la direction stratégique, l'expansion et les opérations» de ses magasins physiques et en ligne à compter du printemps.

Le poste était de fait à pourvoir depuis le départ en 2011 du père des Apple Stores, Ron Johnson, dont le successeur désigné John Browett n'avait réalisé qu'une prestation de six mois peu concluante.

L'annonce suit celle du retour en juillet du Belge Paul Deneve, qui avait travaillé pour Apple dans les années 1990 avant de rejoindre le secteur du luxe chez Courrèges, Nina Ricci, Lanvin puis Yves Saint-Laurent.

Pour Trip Chowdhry, analyste chez Global Equities Research, ces embauches répondent à une logique de «création de demande» pour les nombreuses nouveautés anticipées chez Apple en 2014, et à la volonté de «garantir que chaque acheteur d'un produit Apple ait le sentiment d'avoir le meilleur produit du monde, d'être spécial.»

Cela redonne aussi des paillettes à un groupe parfois accusé d'avoir perdu son brio et son énergie créatrice en même temps que son patron emblématique Steve Jobs.

Angela Ahrendts pourrait faire pour Apple ce qu'elle a fait pour Burberry, dont elle a renouvelé la marque en la repositionnant clairement sur le segment du «luxe», fait valoir Robin Lewis, un spécialiste du commerce de détail à la tête de la lettre stratégique The Robin Report.

Les premiers Apple Stores avaient «créé l'une des expériences les plus passionnantes dans le commerce de détail», rappelle-t-il. Trop copiés, ils «deviennent obsolètes», mais il estime qu'Angela Ahrendts pourrait les relancer et améliorer leur intégration avec le site de vente en ligne d'Apple, qu'il juge carrément «ennuyeux».

Elle avait beaucoup ouvert Burberry à internet, retransmettant par exemple ses défilés sur la toile en permettant aux internautes d'acheter en direct les pièces qui les intéressaient. Le site de la maison britannique a globalement beaucoup de succès, surtout sur le marché chinois, très important pour Apple.

Viser les fashionistas pour de futurs produits portables

L'alliance avec la mode n'est pas forcément contre nature pour Apple, en qui beaucoup d'observateurs voient déjà un designer.

Angela Ahrendts avouait elle-même dès 2010 au Wall Street Journal considérer le groupe informatique «comme un modèle», décrivant «une brillante entreprise de design, qui travaille à créer un style de vie».

«L'industrie de la mode, en termes de marketing, repose sur beaucoup de show, d'impressions, de noms, de marques», remarque Jack Gold, spécialiste du secteur technologique et président de la société de recherche J. Gold Associates. «C'est ce qu'Apple fait sur le marché mieux que n'importe qui d'autre.»

Le groupe cultive la mise en scène lors des présentations et lancements de ses nouveautés. Bien avant l'iPhone et l'iPad, il a bousculé plusieurs fois l'image des ordinateurs, par exemple en 1998 avec ses iMac G3 de toutes les couleurs. À l'image des collections exclusives des couturiers, il cultive aussi la rareté de certains produits, comme les iPhone couleur or que les clients, surtout asiatiques, se sont arrachés en septembre.

Les dernières embauches présagent peut-être aussi de futures orientations d'Apple. L'annonce que Paul Deneve travaillerait sur «des projets spéciaux» a relancé les spéculations sur le lancement d'un produit électronique «portable» comme une montre. Robin Lewis envisage aussi des tissus, des vêtements intégrant des composants électroniques.

«L'avantage pour Apple d'embaucher des gourous de la mode est qu'il pourrait théoriquement avoir accès aux fashionistas, ce qui serait essentiel pour l'adoption d'un quelconque objet portable», reconnaît Sucharita Mulpuru, du cabinet de recherche Forrester, qui s'interroge toutefois sur le prix à payer «pour accéder à de telles 'divas'».

Le salaire d'une Angela Ahrendts, réputée être l'une des patronnes les mieux payées de Grande-Bretagne, n'est pas forcément un obstacle pour un groupe capable de promettre 100 milliards de dollars à ses actionnaires en dividendes et rachats d'actions. Et l'attractivité n'est pas forcément que financière.

Robin Lewis décrit ainsi «une star» avec «une vision» et une philosophie proche de Steve Jobs. Pour lui, «elle pourrait succéder à (Tim) Cook comme directeur général» d'Apple.