Le numérique frappe à la porte des salles de classe mais un simple passage du papier à l'écran ne suffira pas, avertissent experts et producteurs de contenus interactifs à la Foire du livre de Francfort.

Si l'apparition d'appareils portables interactifs et connectés, comme les téléphones intelligents ou les tablettes, a déjà révolutionné le quotidien de millions de personnes, l'école reste relativement imperméable aux nouvelles technologies.

Un paradoxe dans la mesure où les enfants - à l'honneur pour la 64e édition de la Buchmesse qui a fait de l'édition jeunesse son thème central - sont souvent très à l'aise avec ces appareils - des êtres «numériques d'instinct», comme on les qualifie parfois.

Au deuxième étage du Hall 4 de la Foire, un stand préfigure ce que pourrait être la salle de classe du futur, avec un tableau en 3D (à condition de mettre des lunettes spéciales) et une télécommande interactive.

Pourtant, les acteurs du secteurs jugent que le passage au «tout-numérique» n'est pas pour demain, et n'ira pas de soi.

«Il y a un petit nombre de minutes précieuses par jour où il se passe quelque chose de vraiment bien entre un professeur et un élève (...) Donc tout nouvel outil doit réellement apporter quelque chose. Cela ne peut pas être un truc juste sympa à avoir, ça doit être incontournable», estime Ron Reed, consultant américain sur les questions d'éducation et du numérique.

«Focaliser sur la transition vers le numérique reviendrait à se mettre des oeillères. C'est une transition pédagogique. Clairement, ce qui est en jeu ici c'est la méthodologie, pas juste les outils, et il ne doit pas être question que de produits, mais des pratiques», ajoute-t-il.

Ainsi, loin de progressivement disparaître au profit du tout-informatique, le professeur continuera à être au coeur de la pédagogie, même assistée numériquement.

«Nous avons toujours besoin de professeurs motivés et d'un enseignement de qualité. Sans cela, la technologie ne serait rien de plus qu'une distraction dans la salle de classe», plaide Linda Zecher, patronne de l'éditeur de manuel scolaires Houghton Mifflin Harcourt (HMH).

Mais avant cela, il faudra d'abord un effort important d'équipement des écoles.

Ainsi le Portugal a-t-il vendu il y a quelques années des centaines de milliers d'ordinateurs portables à 50 euros à ses écoliers. Il a vu par la suite ses résultats dans les études de performances scolaires Pisa bondir, comme le rappelle Kirsten Panton, de «Microsoft Partners in Education», qui promeut les nouvelles technologies dans l'éducation.

Mais il faudra aussi un important effort de formation initiale et continue des enseignants pour que cette transition porte des fruits.

«Les appareils ont un potentiel immense, mais vous ne pouvez pas juste transférer un contenu d'un média à un autre et espérer des résultats différents», résume Mme Zecher.

HMH a ainsi développé un programme d'apprentissage de l'algèbre sur tablette numérique, testé dans quatre écoles californiennes.

«Là où le programme a bien été mis en place, les notes des élèves ont augmenté de 9 points (sur 100). Mais là où il n'a pas été bien mis en place, ils ont stagné», détaille-t-elle.

Un dialogue entre les fournisseurs de technologie et de contenu et les établissements scolaires sera aussi vital.

«On ne pourra pas juste vendre et se désintéresser» de ce qu'il advient après, admet Lewis Bronze, Pdg d'Espresso Education, producteur britannique de contenus multimédias et interactifs pour les enseignants et les écoles.

«C'est déjà le cas chez nous, puisque nous vivons d'abonnements. Notre activité future dépend entièrement du fait que les écoles se réabonnent une deuxième, une troisième, une quatrième, une cinquième année...», explique-t-il.