L'adoption d'une version modernisée et controversée de la Loi canadienne sur le droit d'auteur (C-11) met en péril l'industrie naissante du livre numérique tant au Québec qu'au Canada.

Alors que le livre prend de l'ampleur partout dans le monde, au Québec, ce sont 25 millions de dollars investis en cinq ans qui sont ainsi pratiquement jetés à l'eau.

Pour contrebalancer l'effet de la nouvelle loi, les industries culturelles espéraient de nouveaux revenus provenant d'une taxe sur les supports informatiques modernes, comme les cartes mémoire de type MicroSD.

La semaine dernière, le ministre de l'Industrie, Christian Paradis, a annoncé que les cartes mémoire, populaires auprès des propriétaires de liseuses et de tablettes numériques pour y stocker musique, vidéos et livrels, seraient exemptées d'une telle taxe.

«Nous avons travaillé fort pour trouver un équilibre dans la modernisation du droit d'auteur, garantissant le droit des consommateurs tout en donnant aux créateurs les outils leur permettant de protéger leur travail et faire grandir leur entreprise. Des frais additionnels sur les cartes mémoire sont tout simplement injustes pour les consommateurs canadiens», a fait savoir le ministre par voie de communiqué.

Les éditeurs de livres ne sont pas d'accord. En dématérialisant le contenant et en simplifiant une distribution à grande échelle du contenu, le numérique change la donne trop rapidement.

Il s'avère une arme à double tranchant, puisque si cette distribution n'est pas protégée par un cadre juridique renforçant la propriété intellectuelle des créateurs, ouvrant la voie à une expansion peu coûteuse du marché ciblé, elle permet à quiconque de copier gratuitement une oeuvre, au risque d'en ruiner l'auteur.

Des exceptions nombreuses et coûteuses

Or, le nouveau droit d'auteur canadien introduit 40 nouvelles exceptions en vertu desquelles la copie de matériel protégé n'est pas une violation directe des droits des créateurs de ce matériel. Des exceptions qui, selon l'Association nationale des éditeurs de livres (ANEL), sont autant d'expropriations des créateurs.

«L'adoption de C-11 est une catastrophe pour les industries culturelles et le livre numérique québécois. L'ANEL a créé une plateforme de livres numériques qui fait des petits partout dans le monde. Près de 25 millions de dollars ont été investis en cinq ans pour faciliter la mise en place d'une industrie du livre numérique chez nous et la nouvelle loi dit carrément: Profitez d'une exception et servez-vous! Bar ouvert, pas de verrous, c'est gratuit!», déplore Richard Prieur, directeur général de l'ANEL.

Les craintes des éditeurs n'ont pas fait bouger le fédéral. Le projet de loi a été adopté en douce par le gouvernement fédéral en juin, et il met en péril le succès commercial de la plateforme numérique de l'ANEL.

Cette plateforme de distribution de livrels représente pourtant un modèle d'affaires intéressant, et son utilisation à l'étranger génère des redevances allant directement dans les coffres des éditeurs québécois. Plusieurs marchés internationaux, dont la France et l'Italie, l'utilisent déjà.

L'ANEL craint désormais que cet investissement n'ait plus de réelle valeur.

Selon elle, le Canada se retire ni plus ni moins du virage numérique que connaît actuellement le monde du livre.

«Tout affaiblissement dans l'exclusivité d'exploitation de cette propriété [intellectuelle] se traduira par une perte de revenus des éditeurs et titulaires de droits et aura un impact sur la capacité de l'industrie du livre à innover et produire des biens culturels pour l'ère numérique», conclut le rapport publié par l'association le mois dernier, avant l'adoption de la loi.