Le gérant de la plus vaste galerie marchande en ligne japonaise, Rakuten, va lancer ce mois-ci une nouvelle liseuse électronique, espérant ainsi couper l'herbe sous le pied de son rival Amazon et dynamiser un marché du livre reposant encore sur les supports imprimés.

Pour Rakuten comme pour Amazon, le potentiel au Japon est énorme, mais il reste à exploiter, les tentatives précédentes n'ayant pour le moment pas réussi à faire réellement décoller les ventes de livres électroniques, même si les géants du secteur, Sony, Sharp ou Fujitsu, les librairies et les opérateurs de télécommunications ont depuis des mois ouvert la voie.

Avec son prix mini (moins de 80 euros), la liseuse Kobo de Rakuten espère bouleverser la donne, avant d'être rejointe plus tard dans l'année, mais à une date encore indéterminée, par une version nippone du Kindle d'Amazon, meneur international du marché de l'e-book.

Paradoxalement, les technophiles Japonais semblent plus rétifs que les Américains ou les Européens à la lecture sur support électronique, une anomalie qui découle, selon les experts, de la puissance de l'industrie de l'édition locale, couplée à une singularité linguistique (écriture mêlant idéogrammes et syllabaires, de haut en bas et de droite à gauche).

De l'ordre de 20 milliards d'euros par an, les ventes de livres et périodiques révèlent pourtant l'ampleur du lectorat.

30 000 titres en japonais

«Je veux révolutionner la lecture au Japon et dans le monde avec Kobo», s'est exclamé lundi le PDG de Rakuten, Hiroshi Mikitani, en présentant cette liseuse développée par la société éponyme canadienne dont l'entreprise nippone a récemment fait l'acquisition.

«Kobo est une plate-forme mondiale de lecture, qui permet a priori à quiconque dans le monde de jouir d'une grande variété de contenus», a-t-il insisté.

L'offre en japonais sera initialement limitée à environ 30 000 titres, mais Rakuten espère une croissance rapide, dans le but de devancer son principal adversaire au Japon, le site de commerce américain Amazon.

Ce dernier a indiqué qu'il allait bientôt annoncer la date de lancement de son livre électronique Kindle au Japon, un objet disponible depuis des années à l'étranger mais qui n'a pas encore été adapté aux spécificités de la langue japonaise. Amazon doit aussi composer avec un milieu clos de l'édition.

Rakuten n'est pas le premier à ambitionner de convertir les lecteurs nippons.

Après un premier échec au début des années 2000, Sony tente de nouveau sa chance depuis quelques mois avec son «Reader» et la librairie virtuelle associée, fort de son succès à l'étranger.

La boutique parvient à proposer les ouvrages les plus en vue, mais elle est incapable de suivre le rythme infernal de parution qui atteint quelque 80 000 nouveaux titres par an.

Sony table néanmoins sur le fait que les consommateurs sont désormais plus à même de passer au support numérique, ayant déjà pris l'habitude du téléchargement avec la musique.

De fait, le marché japonais des livres numérisés devrait atteindre 150 milliards de yens (1,5 milliard d'euro) en 2015, contre 670 millions en 2010, selon une étude réalisée par l'Institut de recherche Yano.

D'autres organismes sont plus optimistes encore.

Craintes pour le patrimoine littéraire nippon

«L'entrée en lice d'Amazon cette année pourrait entraîner une expansion significative de titres de livres numériques disponibles au cours des deux à trois prochaines années», estime Yano, constatant le succès phénoménal rencontré depuis 2007 par la liseuse Kindle aux États-Unis où les ventes de livres numérisés ont dépassé pour la première fois au premier trimestre 2012 celles des versions imprimées.

À côté, le marché japonais n'est pas inexistant, tant s'en faut, mais il concerne surtout les mangas téléchargés sur téléphones portables, qui plus est souvent des titres à tendance érotique.

Le reste de la bibliothèque numérique est encore limité, du fait de la réticence d'auteurs et d'éditeurs qui, déjà confrontés à la chute des achats de livres papier, craignent que les livres électroniques ne laminent les ventes physiques.

D'aucuns redoutent en outre que les mastodontes américains des nouvelles technologies comme Google, Amazon ou Apple ne fassent main basse sur le patrimoine littéraire nippon.

«Le monde de l'édition sait qu'il doit réagir», témoigne Yashio Uemura, professeur de sciences de la communication à l'Université Senshu et membre d'une instance soutenue par les pouvoirs publics censée aider les maisons d'édition à numériser et promouvoir leur collection.

«Dans ce pays, où les gens aiment les nouveautés high-tech, il est inconcevable que les contenus numériques ne se vendent pas», souligne-t-il.