Imaginez une ville dans laquelle tous les bâtiments seraient reliés à un réseau de fibres optiques ultrapuissant qui permettrait à chaque maison et à chaque commerce d'avoir son propre système de téléprésence pour communiquer par vidéo. Les résidants pourraient communiquer entre eux, consulter leur médecin, participer à une réunion de travail ou s'entretenir avec l'enseignant de leur enfant sans jamais quitter la maison. Les rues seraient quant à elles équipées de capteurs qui permettraient à tous les citoyens de connaître le niveau de pollution, l'état de la circulation routière et les temps de déplacement...

Cette cité qui semble tout droit sortie d'un roman d'Isaac Asimov est en construction depuis le début des années 2000 et accueille déjà plus de 30 000 habitants, un nombre qui devrait doubler au cours des cinq prochaines années. Il s'agit de Songdo, en Corée du Sud, un projet de 35 milliards de dollars auquel participent plusieurs grandes entreprises, dont le géant de l'informatique Cisco.

Toutes les villes intelligentes ne sont pas de l'envergure de Songdo mais nombreux sont les pays intéressés par ce projet d'urbanisme de l'avenir. L'idée d'une ville intelligente (smart city) où la technologie a un impact positif sur l'environnement, les services publics et la qualité de vie de ses habitants est LA tendance en urbanisme en ce début de XXIe siècle. Les villes intelligentes seront d'ailleurs un des grands thèmes au programme du Sommet de Rio, le printemps prochain.

«Il n'existe pas un modèle unique de ville intelligente, note le Dr Rick Huijbregts, vice-président de la division smart communities chez Cisco, joint à Toronto par l'entremise du système de TéléPrésence de l'entreprise. «Les projets sont nombreux et très diversifiés, ajoute-t-il. L'idée, en gros, est de rendre les services publics d'une communauté plus efficaces tout en diminuant leur empreinte écologique.»

Les projets peuvent prendre toutes sortes de formes. L'un d'eux consiste à incorporer des technologies vertes dans un quartier résidentiel à Atikameksheng Anishnawbek, dans le nord de l'Ontario. «C'est plus difficile dans les grandes villes, car les infrastructures sont plus longues à modifier, note Rick Huijbregts, mais c'est tout aussi difficile dans une si vaste étendue, là où les communautés sont très éloignées les unes des autres.» Pour ce projet particulier, Cisco collabore avec l'Assemblée des Premières Nations et la fondation de Mike Holmes, une vedette de la rénovation au Canada anglais.

Des projets «intelligents», on en compte plusieurs centaines, voire des milliers, sur la planète. Un autre exemple: l'an dernier, le géant IBM, principal concurrent de Cisco dans le domaine des smart communities, a installé 150 capteurs d'eau dans la ville de Dubuque, en Iowa. Le projet-pilote a permis de détecter des fuites et de modifier le comportement des participants qui, munis des données sur leur utilisation de l'eau durant plusieurs semaines, ont diminué leur consommation d'eau et adopté de meilleures habitudes.

À l'origine de toutes ces initiatives, une motivation, pour ne pas dire une urgence: selon les estimations des Nations unies, d'ici 2050, près de 70% de la population mondiale habitera dans une ville. En 1900, ce pourcentage était de 13%. Chaque année, c'est donc l'équivalent de sept villes de la taille de New York qui font leur apparition sur la planète. «L'objectif est de ne pas reproduire les erreurs du XXe siècle», a déclaré le spécialiste de l'urbanisation et directeur de la recherche à l'Institut du futur, Anthony Townsend, dans le cadre de la première conférence sur les villes intelligentes qui avait lieu à Barcelone, en décembre dernier, et qui a attiré plus de 6000 personnes.

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Montréal, ville ouverte

«Une ville intelligente, c'est aussi une ville qui s'appuie sur la participation citoyenne, note Louise Guay qui dirige le Living Lab de Montréal, un laboratoire d'innovation sous la tutelle du CIRANO. Les jeunes, ceux qu'on a baptisés les «digital natives» ou natifs numériques, sont habitués d'avoir une voix, de voter, de co-créer. Naturellement, on se dirige de plus en plus vers ça. C'est la notion d'intelligence planétaire dont parlait l'auteur Joël de Rosnay», ajoute cette visionnaire qui, après avoir été à l'avant-garde en créant le mannequin virtuel avec son entreprise Public Technologies Multimédia, est aujourd'hui engagée jusqu'au cou dans des projets urbains basés sur l'innovation ouverte et le jeu. En juin 2010, avec son équipe du Living Lab, elle a mené un projet participatif pour améliorer le système de vélo en partage BIXI. «Une cinquantaine d'utilisateurs ont participé au projet et à l'aide de données fournies par BIXI, nous avons pu suggérer des moyens de rendre le service encore plus performant en revoyant entre autres la distribution des vélos dans la ville. Ce sont des activités ludiques basées sur la collaboration et à mon avis, il y en aura de plus en plus. Mais pour que ces projets fonctionnent, il faut que les données soient disponibles.»

Montréal est peut-être en retard sur Québec dans le dossier des villes intelligentes (l'organisme Montréal métropole numérique a déposé un mémoire l'an dernier et des projets devraient voir le jour) mais on assiste à un réel engouement pour tous les projets élaborés à partir de données ouvertes, les camps et «hackatons» organisés par la communauté techno montréalaise. À lui seul, un récent «hackaton» organisé en novembre par Montréal ouvert a attiré 175 personnes (un record selon les organisateurs). Durant une journée complète, des bidouilleurs en informatique réunis dans une grande salle se sont «amusés» à développer des applications mobiles à l'aide de données rendues publiques par la Ville de Montréal. C'est lors de cet événement que mamairie.ca - un site permettant d'avoir accès aux élus municipaux - a pu voir le jour. En décembre dernier, Louise Guay a également animé le TranspoCampMTL2011, un exercice de réflexion qui a réuni des experts en transports collectifs et en urbanisme alors que parallèlement à la rencontre, des maniaques d'informatique (moins nombreux qu'en novembre) tentaient de développer des applications mobiles à partir des données disponibles sur les déplacements et le transport montréalais. La STM, grande absente de l'événement, a promis qu'elle ouvrira ses données d'ici quelques semaines.