La majorité des Québécois ont accès à un ordinateur et à un branchement internet, la moitié possèdent un ordinateur portable et le quart, un téléphone intelligent. Nous sommes branchés de plus en plus longtemps et les nouvelles technologies sont en train de bouleverser notre façon de vivre, de penser, de communiquer. La question n'est plus de savoir ce que peuvent accomplir tous ces nouveaux appareils, mais plutôt de nous demander: que pouvons-nous faire grâce à eux?

Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né pendant un intervalle bref, celui qui nous sépare des années soixante-dix. Il ou elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n'habite plus le même espace. Né sous péridurale et de naissance programmée, il ne redoute plus, sous soins palliatifs, la même mort. N'ayant plus la même tête que celle de ses parents, il ou elle connaît autrement», écrivait le philosophe Michel Serres dans un texte intitulé Éduquer au XXIe siècle, publié en mars dernier.

Les impacts de cette révolution sont nombreux et nous les découvrons chaque jour. Ce que nous savons avec certitude, c'est que nous ne sommes plus tout à fait les mêmes.

Pour André Mondoux, professeur à l'École des médias de l'UQAM, on assiste actuellement à une personnalisation de la quête identitaire en lien avec les nouvelles technologies. «Les nouvelles technologies permettent de définir notre identité, de nous construire, de marquer nos choix constamment, observe-t-il.Tout est individualisé: le téléphone, la musique et maintenant la télé. Avant, ces appareils étaient des technologies communales que nous utilisions à plusieurs. Elles sont devenues des objets personnels que nous utilisons seuls, chacun dans notre coin.»

Cet accès immédiat et presque constant à la technologie - sorte de cordon ombilical électronique - a pour conséquence une gratification instantanée des utilisateurs, poursuit André Mondoux, qui est également membre du Groupe de recherche interdisciplinaire sur la communication, l'information et la société (GRICIS) de l'UQAM. «Je peux le dire (mon opinion) et je peux l'avoir tout de suite (le bien de consommation) alors pourquoi pas? C'est le «ici et maintenant» rendu possible par la convergence du numérique et de la mobilité. Cela crée une gratification instantanée qui crée à son tour une dépendance, d'où l'hyper-consommation et l'hyper-sexualisation que nous observons aujourd'hui.»

C'est vrai, le tableau de nos comportements associés aux nouvelles technologies n'est pas toujours rose. Une étude récente, réalisée en Chine, conclut que l'accoutumance à internet est comparable à la dépendance à la cocaïne. Une autre étude, commandée par le ministère de la Santé en Allemagne, révèle que plus d'un demi-million d'Allemands seraient dépendants à internet. Faut-il se surprendre? En 2009, les États-Unis ont vu apparaître reSTART, le premier centre de désintoxcation destiné aux accros à internet, dans l'état de Washington. Ce ne sera sûrement pas le dernier.

Une société à imaginer

Tout n'est pas sombre pour autant. «Je voudrais avoir dix-huit ans, (...) puisque tout est à refaire, puisque tout reste à inventer», affirmait Michel Serres, encore lui. Malgré ses 80 ans passés, le philosophe a choisi le camp de l'optimisme. Il n'est pas le seul. Bruno Guglielminetti, directeur du groupe Communications numériques et information stratégique chez National, voit se dessiner une nouvelle génération de citoyens de plus en plus informés et engagés dans la vie active. «Les baby-boomers arrivent à l'âge de la retraite. Ceux qui décident de faire le saut et d'adopter les nouvelles technologies vont prendre une place plus active. Avant il fallait s'habiller et sortir pour manifester. Aujourd'hui on peut exprimer son ras-le bol sur twitter, signer une pétition en ligne, etc. Les nouveaux outils technologiques facilitent la prise de parole.»

On compte déjà 3,7 millions de Québécois sur Facebook et l'évolution de la technologie n'annonce pas une diminution de la popularité des réseaux sociaux, au contraire. «Ils seront bientôt intégrés dans nos voitures, et notre frigo sera branché sur internet», note M. Guglielminetti qui revient de la conférence Consumer Electronic Show, à Las Vegas.  

Les entreprises ont bien compris. «À Montréal, lance André Mondoux, la compagnie Needium monitore vos propos sur Twitter et vous envoie une publicité ciblée suite à ce que vous avez dit. Si vous dites: «J'ai froid», on vous enverra une publicité de tuque. Éventuellement, on vous enverra de la publicité pour un voyage à Cancun. À une époque où nos opinions et nos pulsions convergent, et où la géolocalisation permet de nous situer en tout temps, nous sommes de plus en plus «adressables». Est-ce à dire que nous deviendrons également «dressables»?»

C'est inévitable, l'évolution des nouvelles technologies pose la question de la multiplication et la circulation des renseignements personnels. Chaque jour, nous produisons une quantité hallucinante de données, nous laissons une trace. Dans ce contexte, pouvons-nous encore prétendre à une vie privée «vraiment» privée?

On a fixé les règles sur la vie privée dans les années 1970, avec un pré-requis qui était le consentement, note Vincent Gautrais, professeur et titulaire de la Chaire en droit de la sécurité et des affaires électroniques à l'Université de Montréal. Aujourd'hui, c'est devenu une illusion de croire que notre consentement va régler les choses. Nous n'avons plus le contrôle. Il faut prendre une autre approche. De l'ère du consentement nous passons à l'ère de l'admission. Nous «savons» que Facebook possède toutes ces données sur nous, ils nous l'ont admis. Maintenant il s'agit de savoir, et de surveiller, ce qu'ils vont faire de ces informations. C'est assez fondamental comme changement de paradigme. Reste à voir si cette surveillance se fait dans des conditions si sécuritaires que celà. On ne mesure pas encore l'ampleur d'une telle mesure tout comme nous ne mesurons pas encore l'ampleur de la révolution que nous sommes en train de vivre. L'internet moderne a environ 20 ans. Il est encore dans sa phase adolescente.»