L'ascension de Kaspersky Lab, devenu l'un des champions mondiaux dans les anti-virus informatiques, prouve que la Russie, assise sur d'abondantes ressources énergétiques, peut aussi compter sur sa matière grise pour rivaliser sur la scène internationale.

Quelque 300 millions d'ordinateurs particuliers sont protégés par les anti-virus de Kaspersky Lab, aujourd'hui quatrième rang mondial du secteur.

Récemment, le magazine américain spécialisé Fast Company a classé la société parmi les cinquante entreprises mondiales les plus innovantes en 2011, signe de reconnaissance assez rare pour être remarqué en Russie, alors que le président Dmitri Medvedev appelle à cors et à cris à la modernisation du pays.

Le chemin a été long pour en arriver là, raconte à l'AFP son PDG, Evgueni Kaspersky, un quadragénaire à l'allure décontractée.

Ce diplômé de cryptographie travaillait au ministère soviétique de la Défense quand il a découvert son premier virus informatique en 1989.

«Quand mon ordinateur a été infecté, j'ai été très curieux de voir comment cela fonctionnait. Je l'ai éliminé mais une fois rentré chez moi je me suis amusé à le décortiquer», se souvient-il. «C'est ensuite devenu un hobby».

En 1991, quand l'Union soviétique implose, il décide de se lancer dans la programmation d'anti-virus et monte une entreprise avec son ancien professeur de maths.

Puis en 1997, il quitte la société avec plusieurs collaborateurs, dont Natalia Kasperskaïa, sa femme, et crée Kaspersky Lab. La compagnie ne propose alors pas encore ses propres programmes sur le marché, mais les vend sous licence à l'étranger.

Un atout indéniable quand survient la crise financière en 1998, qui pousse la Russie, mise à genoux, à dévaluer le rouble. «C'est la première fois que je me suis senti riche, dit en riant M. Kaspersky. Nous étions assis sur des marks, des francs, des dollars, et non sur des roubles.»

Puis au début des années 2000, la société commence à vendre ses anti-virus pour les ordinateurs domestiques sous le nom de Kaspersky et la croissance s'accélère. La société ouvre progressivement des succursales à l'étranger et se fait connaître dans le monde entier.

En janvier 2011, une nouvelle étape a été franchie, avec l'entrée du fonds d'investissement américain General Atlantic au capital de Kaspersky Lab, signe, pour son PDG, que l'entreprise, «digne de confiance», a gagné ses galons sur la scène internationale. M. Kaspersky n'exclut pas désormais une introduction en Bourse d'ici quelques années.

Lorsqu'on lui demande s'il n'a jamais voulu quitter la Russie pour s'installer dans la Silicon Valley aux Etats-Unis, comme nombre de ses compatriotes, Evgueni Kaspersky répond du tac-au-tac: «les meilleurs programmeurs sont à Moscou!».

Une des raisons qui explique aussi pourquoi les cybercriminels y sont aussi nombreux, reconnaît-il.

«En Russie, l'enseignement est encore très performant», estime-t-il.

Malheureusement, «très peu d'entreprises high-tech sont connues» à l'étranger. «La génération actuelle de dirigeants est née et a grandi à l'époque soviétique. (...) Nombreux sont ceux qui ont encore un rideau de fer dans la tête, parlent mal l'anglais, et ont peur de faire des affaires en dehors de l'ex-URSS», explique-t-il. «J'espère que la nouvelle génération aura beaucoup moins peur».

Le projet de M. Medvedev de créer une ville de l'innovation à Skolkovo, en banlieue de Moscou, doit y contribuer: «c'est une idée incontournable pour la Russie», défend M. Kaspersky, membre du conseil scientifique consultatif du projet. «Et si ça ne marche pas à Skolkovo, il faudra recommencer ailleurs».