Les discussions entre les fabricants du téléphone Blackberry et l'Inde, l'Arabie Saoudite ou les Émirats arabes unis illustrent une sorte de jeu du chat et de la souris entre les autorités de nombreux pays et des technologies qui ont souvent une longueur d'avance.

«Ce que nous sommes en train de voir, c'est ce joli pas de deux auquel on assiste quand des pays pensent que leur souveraineté est menacée par de nouvelles technologies», estime Mark Rasch, qui a dirigé la cellule chargée de la criminalité informatique au sein du ministère américain de la Justice pendant neuf ans.

«Les gouvernements sont facilement disposés à recourir à des technologies qui empiètent sur la vie privée, mais les technologies qui renforcent la vie privée les rendent nerveux», souligne l'expert.

L'Inde a demandé jeudi aux opérateurs téléphoniques accès d'ici fin août aux données cryptées du BlackBerry, sous peine de bloquer ces services. Cette mise en demeure pourrait s'étendre à Google et Skype.

L'Arabie Saoudite a décidé de maintenir le service de messagerie du BlackBerry et de poursuivre la discussion sur le cadre réglementaire lui permettant de surveiller le contenu des échanges sur ce téléphone.

Les Émirats arabes unis ont en revanche choisi d'interdire le service de messagerie, les courriels et la navigation sur l'internet à compter du 11 octobre.

Pour les experts, ces batailles autour du Blackberry s'inscrivent dans un contexte de décennies d'accrochages sur l'impact des nouvelles technologies de communication sur la sécurité.

«Il y a beaucoup de gouvernements aujourd'hui, y compris les États-Unis, dont les activités de renseignement peuvent être entravées par des technologies utilisant une forme de cryptage», explique John Bumgarner, de l'organisation US Cyber Consequences Unit. «Les technologies comme le BlackBerry, Google Talk ou Skype entravent la capacité à repérer des activités terroristes à l'intérieur des frontières».

Chacun de ces services brouille les données avec des codes difficiles à déjouer, explique M. Bumgarner, dont l'organisation étudie certaines menaces pour des organes gouvernementaux américains.

Selon lui, il existe toute une série d'outils de cryptage pour les appels sur l'internet ou les courriels, y compris un programme baptisé «Mujahedeen Secrets» qui aurait été mis au point par un groupe soutenant Al-Qaïda «pour que les terroristes puissent communiquer en toute sécurité les uns avec les autres à travers le monde».

«En quelques minutes, je peux mettre au point un appel crypté avec pratiquement n'importe qui dans le monde, que les agences de renseignement sont incapables d'intercepter», souligne M. Bumgarner.

La seule contre-attaque possible de la part des États est de «menacer des portails comme Skype d'installer une «back door»», un programme permettant d'y avoir un accès et d'y exercer un contrôle à distance, explique Ian Clarke, connu pour ses travaux sur le système Freenet de protection de l'anonymat en ligne.

Mais certains, comme RIM, le fabricant canadien du BlackBerry, semblent peu vulnérables à ces menaces et de nouveaux logiciels de cryptographie en accès libre risquent de donner du fil à retordre aux autorités.

Au-delà des problèmes techniques, les pays qui veulent interdire ces outils risquent de faire fuir les entreprises qui ont besoin du secret des communications pour se protéger de la concurrence.

«Les gouvernements peuvent aller jusqu'au bout en interdisant purement et simplement ces technologies, mais les conséquences économiques seront intenables pour tout le monde, sauf peut-être pour les régimes les plus sévères, comme la Corée du Nord», estime M. Clarke.