Nous sommes tous, de nos jours, les acteurs d'un grand film. Sur 24 heures de vie routinière, de combien de minutes d'intimité réelle pouvez-vous vraiment profiter?

Faisons l'exercice. Vous vous levez le matin, à 6h30. Le téléphone sonne... Une compagnie téléphonique de renom vous appelle pour vous faire part de son nouveau tarif de longue distance interprovincial. Vous vous êtes tellement pressé à répondre à cet appel que vous vous retrouvez pratiquement flambant nu à discuter devant la vitrine de votre salon. Côté intimité on repassera. En quelques minutes à peine, vous venez de vous exposer corps et âme, tant sur le plan physique que médiatique.

Puis, surprise La plus vieille clavarde sur votre portable et vous annonce que vous avez cinq nouveaux amis Facebook. Vous vous questionnez, sans plus, jusqu'au moment ou votre progéniture vous demande "qui est Delphine".

«Une vieille copine d'université», dites-vous. Elle sourit d'un air narquois et incrédule.

Dès 7h05, le doute s'installe entre ma fille et moi. Ne cédez pas à la panique, avouez cependant qu'il y a de quoi s'instruire sur la capacité d'intrusion cybernétique!

À 7h45, en déjeunant en famille, il est question de l'émission « Occupation Double».

Le ton de la discussion cache difficilement notre goût de pénétrer dans l'intimité des gens. Phénomène plus ou moins récent, on constate une sensibilité croissante vis-à-vis des «intromissions» dans la vie privée des citoyens. Il y a, dans nos sociétés modernes, une croissante propension à l'exhibitionnisme et au voyeurisme.

À 8h15, je quitte mon domicile pour mon travail. On annonce à la radio une nouvelle suivant laquelle il y a maintenant des caméras de surveillance dans les salles de bain d'une école primaire (histoire vraie dans la région). Une histoire de taxage amène les dirigeants de l'école à agir de la sorte. Au nom de la sécurité publique, l'on a sacrifié le caractère privé de nos "petites vies".

Et encore!

Sur mon parcours, me pensant à l'abri de toute surveillance étatique, je croise un appareil du tout nouveau photo-radar. Encore une fois, pour des raisons de sécurité, le gouvernement se permet un contrôle du citoyen.

Pour s'en convaincre, il suffit de lire l'article 332 du Code de la sécurité routière du Québec: «La vitesse d'un véhicule routier peut être mesurée par un cinémomètre photographique approuvé par le ministre des Transports et le ministre de la Sécurité publique et utilisé de la manière qu'ils déterminent».

En parlant de la manière «qu'ils déterminent», saviez-vous qu'un photo-radar prend au moins quatre clichés de votre véhicule automobile, photos à très haute résolution incluant l'intérieur du véhicule et les passagers vous accompagnant. Pensez également que vous pouvez être photographié sans être le véhicule infractaire. Évidemment, les autorités vous diront que tout visage est hachuré... C'est quand même plus de photos que mon dernier voyage dans le sud...

Des caméras partout

Le temps de garer ma voiture, la possibilité d'être filmé par une caméra de surveillance est très importante sinon significative, et cela, autant à Jonquière qu'à Trois-Rivières. Suis-je allé dans un guichet automatique? Au Wal-Mart? Au stationnement de chez Rona? Ai-je passé par la 3e Escadre de Bagotville? Suis-je allé à l'hôpital? Le phénomène de vidéo surveillance est croissant et évidemment l'on prétendra que c'est la sécurité qui doit l'emporter sur la vie privée. Avec raison. Le problème: où s'arrêtera l'utilisation des systèmes de surveillance et de vidéosurveillance?

Juxtaposé à la possibilité de capter vos conservations téléphoniques (exemple avec un récepteur de type scanneur dont la vente est autorisée), de consulter vos Facebook, Twitter, MSN etc... de plus en plus de gens peuvent pister les informations émanant d'une personne.

Cela sans compter les opérations policières et militaires inconnues. Pour des motifs de sécurité nationale, des milliers de gens sont filmés, photographiés à leur insu. Et cela existe aussi dans notre région. La Défense nationale et la police doivent détenir autant d'informations sur chacun d'entre nous que le ministère du Revenu.

Pour attraper 1% (chiffre conservateur) de présumés criminels ou de terroristes, combien de gens sont sur écoute électronique? Combien de citoyens font l'objet de surveillance? Et ils ne le sauront jamais.

J'ai arrêté mon parcours de vie fictif sur l'heure du midi parce que l'exercice est suffisamment clair pour comprendre que l'intimité est une denrée rare pour plusieurs.

Imaginez! Je n'ai même pas discuté de l'utilisation des services électroniques aux usagers. Que ce soit la carte d'assurance maladie, le permis de conduire, la carte bancaire multifonction votre "traçabilité" est grandissante.

À 17h30, de retour à la maison, je retrouve ma famille. Ma blonde paie ses comptes sur internet, mon plus jeune est hypnotisé par un jeu vidéo, ma plus vieille clavarde sur MSN.

J'ai impression de vivre momentanément la cyberdépendance et l'isolement. Ce serait le nouveau mal du siècle. Et voilà le téléphone qui sonne. Je réponds. Un sondage. On me demande le pedigree de ma famille au complet afin de me vendre une nouvelle carte de crédit.

Le drame de cet appel, c'est que j'ai transmis toutes les informations demandées et conversé avec l'interlocuteur n'ayant personne à qui parler.