L'ère des verrous sur les fichiers musicaux semble tirer à sa fin. iTunes ne vendra plus que des chansons libres de DRM (Digital Rights Management), dispositif qui empêche ou limite la copie, d'ici le mois d'avril. Après avoir passé des années à lutter, sans grands résultats, contre l'échange de fichiers musicaux sur l'internet, les géants du disque changent d'attitude en donnant leur accord à cette mesure. Ça semble une concession importante, mais ils n'avaient plus tellement le choix.

Apple a aussi cédé sur un point en modifiant sa grille tarifaire: les titres se vendront désormais entre 69¢ et 1,29$. iTunes imposait jusqu'ici un prix unique (99¢ la chanson), ce qui en a fait grincer des dents plus d'un dans le monde de la musique. Un bonze de l'industrie britannique répétait d'ailleurs, en novembre dernier, que le modèle mis de l'avant par iTunes avait dévalorisé l'album en le réduisant aux deux seules bonnes chansons qui en valent la peine. Sans blague.Du point de vue de l'industrie du disque, c'est bien sûr un désastre. De celui du consommateur, c'est pourtant parfaitement logique: pourquoi payer un disque 15$ ou 20$ s'il ne contient que deux vraies bonnes chansons? iTunes a redonné aux acheteurs ce pouvoir qu'ils possédaient à l'époque du 45-tours. Apple confirme désormais que, lorsqu'on a payé une chanson, on la «possède» pour vrai. Sans DRM, on peut même la faire jouer sur un baladeur autre qu'un iPod...

La stratégie d'iTunes consiste bien sûr à attirer de nouveaux clients et à consolider sa position de premier disquaire virtuel de la planète. L'industrie, elle, tente de compenser la baisse des ventes de CD, même si le commerce en ligne ne compense pas l'échange de fichiers. C'est mieux que rien. Le modèle se fait d'ailleurs de plus en plus alléchant pour l'acheteur moyen: iTunes, c'est bien plus simple et plus sécuritaire que BitTorrent ou LimeWire. Tout ce qui manque au disquaire d'Apple pour être le juke-box rêvé, c'est un forfait téléchargement illimité.

Pour l'heure, il reste seulement à savoir quels titres seront vendus 69¢ et à 1,29$. Méchant casse-tête. Il est peut-être tentant de vendre les tubes plus chers, mais ce serait probablement contre-productif: les fans se les échangeront plutôt que de les acheter. La musique de «vieux» sera-t-elle ciblée? Les consommateurs plus âgés, et potentiellement moins habiles sur l'internet, paieront-ils pour les autres? À moins que ce soient les mélomanes aux goûts plus pointus, qui trouvent rarement ce qu'ils cherchent sur les sites d'échange?

Un dernier mot sur iTunes. L'un de ses plus grands atouts, c'est son répertoire. La position précaire du disque force les disquaires à gérer scrupuleusement leur inventaire. iTunes n'as pas à composer avec la rentabilité au pied carré. En quelques clics, on peut y dénicher facilement des albums difficiles, voire impossibles à trouver en magasin. À mon plus grand bonheur, j'y ai récemment acheté Léo chante Ferré, un superbe album où Philippe Léotard reprend Ferré.

Autre grand avantage, le disquaire virtuel d'Apple ne connaît pas les frontières. Pourquoi payer un album français en importation plus de 20$ quand il est offert en 9,99$ sur iTunes. Dans le même ordre d'idée, tous les artistes catalans que j'ai découverts à Barcelone cet automne (Sisa, Guillamino, Pau Riba, La Troba Kung-Fu, Antonia Font, Mishima, etc.) sont vendus sur iTunes Canada, alors qu'aucun disquaire d'ici ne songerait même à en faire venir un seul exemplaire!