«Pour les gros utilisateurs, être privé de BlackBerry, c'est comme se retrouver sans vêtements.»

«Pour les gros utilisateurs, être privé de BlackBerry, c'est comme se retrouver sans vêtements.»

Keven Restivo, spécialiste en télécommunications au SeaBoard Group, résume ainsi le sentiment ressenti par des millions de Nord-Américains, mardi et mercredi.

Pendant la nuit et une partie de la matinée, les abonnés au BlackBerry n'ont pu envoyer ou recevoir de courriels avec leur appareil, résultat d'une panne majeure dans les serveurs de Research in Motion (RIM).

Les impacts financiers de l'interruption sont difficiles à chiffrer. Mais ils sont venus remettre en évidence le haut degré de dépendance de bien des utilisateurs, surtout des gens d'affaires, envers le bidule électronique.

Dans les forums de discussion et les nombreux articles diffusés hier sur le web, des abonnés disaient se sentir «amputés» d'un membre. D'autres déclaraient, en blaguant à peine, qu'ils auront besoin d'une psychothérapie après le stress causé par cette panne.

«Le BlackBerry, pour côtoyer des gens qui en ont, c'est un véritable esclavage», lance Michel Germain, directeur du Centre québécois de lutte aux dépendances.

L'organisme a publié l'automne dernier une étude sur la cyberdépendance, qui ne traite pas directement du BlackBerry. M. Germain est néanmoins persuadé que l'appareil, fabriqué par la compagnie ontarienne RIM, prive ses propriétaires d'une partie de leur tranquillité d'esprit.

«Tu ne contrôles plus tes moments de loisir, parce que, règle générale, le BlackBerry reste toujours ouvert, dit-il. Tu es disponible, et ce sont un peu les autres qui contrôlent tes occupations et tes préoccupations.»

Suffit de luncher dans le quartier des affaires ou d'assister à une assemblée d'actionnaires pour constater la relation quasi fusionnelle qu'entretiennent de plus en plus de gens avec leur BlackBerry. Certains parlent du syndrome «Crackberry», en référence au dérivé de la cocaïne réputé pour la forte dépendance qu'il engendre.

À Chicago, un hôtel Sheraton offre désormais une «cure» aux accros du BlackBerry. À leur arrivée, les clients qui le désirent peuvent remettre leur appareil à la réception, lequel sera gardé dans un coffret, sans aucun frais, pendant tout leur séjour. Une anecdote qui vient montrer l'ampleur qu'a pris le phénomène.

Selon l'agence Bloomberg, on compte quelque 8 millions d'utilisateurs de BlackBerry dans le monde. Les trois quarts d'entre eux vivent en Amérique du Nord. RIM a livré 4,39 millions d'appareils pendant les neuf premiers mois de son exercice 2007, un bond de 50 % par rapport à l'année précédente.

D'autres «téléphone avec caractéristiques évoluées» existent, mais RIM demeure loin devant ses concurrents avec son BlackBerry. L'entreprise détient 45 % du marché américain, comparativement à 18 % pour Palm et 12 % pour Motorola, rapporte la firme de recherche IDC.

Le modèle d'affaires de RIM est unique, soulignent les experts. Et payant. Car en plus de fabriquer les appareils, la société de Waterloo exploite les serveurs par où transitent les courriels des abonnés. Cela lui permet de diversifier ses sources de revenus.

Les conversations téléphoniques faites avec le BlackBerry sont quant à elles relayées par les réseaux sans fil des fournisseurs qui vendent l'appareil, comme Bell et Telus au Canada, ou Verizon et AT&T aux États-Unis.

Mécontents

RIM n'a pas encore précisé les causes de la panne d'hier, ni quelle de proportion de ses 8 millions d'abonnés a été affectée. Sur le site web de l'entreprise, aucune mention n'était faite de la panne ni du degré de rétablissement du réseau.

Ce mutisme a enragé plusieurs utilisateurs. Sur le site web crackberry.com, de nombreux internautes ont partagé leur état d'esprit dans un forum de discussion. «Pourquoi, mais pourquoi RIM-BlackBerry n'ont-ils fourni AUCUN détail sur leur site web?» a déploré l'un d'eux dans son message.

Les Bell, Telus et autres fournisseurs ont du répondre aux nombreuses interrogations de leurs clients. Sans divulguer le nombre de plaintes, Bell souligne que le volume d'appel a été 30 % plus élevé que la normale, jusqu'à ce que le gros de la panne se résorbe vers 10h.

En fin de compte, l'interruption de service aura beaucoup fait jaser pour bien peu de choses, croit Kevin Restivo, analyste au SeaBoard Group. «Ça montre qui sont principalement les utilisateurs du BlackBerry : des gens d'affaires, ceux qui font le plus de bruit et ont le plus d'argent.»

Le titre de RIM n'a pas souffert de toute cette histoire, au contraire. Il a clôturé à 151,77 $ mercredi à la Bourse de Toronto, en hausse de 1,98 %, ou 2,95 $.