Après l'éclatement de la bulle, Internet connaît ces dernières années un nouveau souffle, le Web 2.0. Blogue, podcast, wiki : une myriade de sites alimentés directement par les internautes. Mais dirigez-vous vraiment l'ère de l'information ?

Après l'éclatement de la bulle, Internet connaît ces dernières années un nouveau souffle, le Web 2.0. Blogue, podcast, wiki : une myriade de sites alimentés directement par les internautes. Mais dirigez-vous vraiment l'ère de l'information ?

Un peu plus et elle se recyclait. C'était en 2002. Marie-Chantale Turgeon s'affairait dans le multimédia depuis quatre ans. Et se morfondait. «J'allais laisser tout ça. Parce que je trouvais que le Web devenait l'équivalent de ce qu'on voyait à la télévision. Les gens restaient assis, assez passifs. T'avais un écran, et tout ce que tu pouvais faire, c'est changer de page. Il n'y avait pas vraiment de place pour publier son propre contenu. Je trouvais ça unidirectionnel. J'étais sur le bord de me réorienter.»

Jusqu'à ce qu'en furetant sur le net, elle découvre un blogue. Puis décide à son tour de surgir dans la blogosphère. Séjournant en Allemagne, la Montréalaise opte pour le carnet de voyage, qu'elle parsème de commentaires sur la musique, les films et les livres qui ponctuent son exil. Au départ, sa famille et ses amis forment son seul lectorat. Cependant, grâce à la magie des moteurs de recherche, son blogue attire des centaines d'internautes qui partagent ses intérêts et consultent les photos qu'elle a prises avec son cellulaire. Comme elle écrit en anglais, ses visiteurs viennent de partout dans le monde.

Ravie de l'expérience, Marie-Chantale la prolonge de retour au Québec. Deux ans et des centaines de posts (messages) plus tard, elle est une des premières au Québec à émettre un podcast. Une fois par semaine, la mélomane met en ligne une émission de radio amateur de vingt minutes que les internautes peuvent télécharger sur leurs baladeurs. Elle y diffuse des artistes indépendants trouvés sur le Web et entrecoupe l'enregistrement de commentaires sur les spectacles qu'elle a vus. Fin 2005, son podcast est devenu si populaire qu'il fait irruption dans les prestigieuses pages du magazine américain Spin.

Mais la jeune femme se trouve déjà ailleurs. Avec sa caméra, elle réalise de courts vidéos qu'elle loge sur son blogue, Vu d'ici. Avec un collègue, elle fonde ensuite le studio Meïdia, à l'origine du site étoiles-du-web.ca, première plateforme québécoise mêlant blogue, vidéo, audio et texte.

Qu'est-ce que le Web 2.0 ? C'est celui de Marie-Chantale. Et de tous ceux qui, comme elle, ne se contentent plus de visiter des pages, mais veulent participer au contenu. Dans l'esprit du «logiciel libre» qui avait guidé les premiers pas de la micro-informatique dans les années 60 et 70. «Ce qui était au début dans le domaine de la liberté du code source a petit à petit migré dans le domaine du contenu, résume Thierry Bardini, professeur au département de communication de l'Université de Montréal. C'est-à-dire qu'on a commencé à appliquer les mêmes notions non plus aux codes qui font tourner la machine, mais au contenu (musique, image, texte)».

C'est YouTube, avec ses 100 millions de vidéos amateurs téléchargés par jour. MySpace, le nouvel étalon de la culture des 12-25 ans, qui permet à ses membres de disposer de leur propre page et d'y partager leurs goûts musicaux. Wikipédia, l'encyclopédie mondiale en ligne dont les milliers d'articles sont rédigés et corrigés par Monsieur et Madame tout le monde. Voilà pour les plus connus. À cela s'ajoute une profusion de sites de plus ou moins grande envergure, spécialisés ou non, toujours construits et agrémentés par les usagers.

Les participants

Au fait, qui participe ? Des gens comme Pierre Léon, un chauffeur montréalais de taxi qui écrit sur son métier nocturne, les types bizarres qu'il a reconduits, les filles aux cheveux roses qui s'adonnent au squeegee, devenu l'un des blogueurs les plus lus dans la province. Simon Pulsifer, un jeune chômeur d'Ottawa qui est l'auteur de deux à trois mille articles sur Wikipédia, ce qui en fait le plus important contributeur à ce jour. Michel Beaudet et ses Têtes à claques, qui se sont hissées dans le top 10 des sites les plus visités au Québec, avec 2,1 millions de visiteurs uniques en novembre 2006.

Mais il y a aussi ceux qui participent malgré eux. On songe à Lucie Laurier, qui a eu le malheur de laisser un sein s'échapper durant une entrevues télévisée, avant de faire l'objet d'un scandale national. Au Star Wars kid, ce Trifluvien de 15 ans dont le combat imaginaire au sabre laser a été vu par 900 millions de personnes depuis que ses camarades de classe ont versé la vidéo sur le Web. À Fidel Lachance, ce chanteur country de la Beauce qui est devenu célèbre sur YouTube ( 60 000 internautes ont regardé l'entrevue qu'il a accordée à Anita Lachance) en distillant les mots d'esprit : «On cherche toute l'espoir dans not' vie, pis un jour ou l'autre, on la retrouve toujours dans l'espérance.»

Le Web 2.0, semble-t-il, célèbre autant l'intelligence collective que sa bêtise. Peu importe, certains y voient l'avènement «d'une démocratie numérique». À l'instar du Time Magazine, qui a récemment fait de «Vous» sa personnalité de l'année. Car, peut-on lire, «vous dirigez l'ère de l'information».

Mais la dirigez-vous vraiment ? Thierry Bardini en doute. «Moi, ils me font rigoler au Time. Comme si tenir une caméra vidéo, c'était faire l'histoire. En même temps, le type qui avait la caméra vidéo quand Rodney King s'est fait tabasser a fait l'histoire d'une certaine manière. (...) En fait, on devrait dire «on», c'est-à-dire à la fois tout le monde et personne - ou juste toi parce que t'es là au bon moment.»

D'ailleurs,on oublie souvent que derrière le Web 2.0 se profile une grande ironie. Tim O'Reilly, un homme d'affaires de la baie de San Francisco, a popularisé l'étiquette en 2003 pour que la Silicon Valley sorte de sa torpeur après l'éclatement de la bulle Internet à la fin des années 90, note The Economist. Voilà maintenant la même vallée peuplée d'entrepreneurs individualistes glorifiant les vertus de la participation et de la conscience collective. «Comme si soudainement les bonzes libertaires des nouvelles technologies étaient devenus des maoïstes de l'ère numérique.»

Quoi qu'il en soit, dans son numéro spécial Le Monde en 2007, la prestigieuse revue britannique prédit que, cette année, les blogues, podcasts et wikis seront plus accessibles au commun des mortels, à l'image du courriel.

Alors, on pensera à Marie-Chantale Turgeon en se disant qu'après tout, elle avait juste un peu d'avance sur nous.

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