Et si les technologies de l'information n'étaient pas un paradis?

Et si les technologies de l'information n'étaient pas un paradis?

Ils croyaient refaire le monde du marché du travail. Tous ces jeunes qui travaillent dans le multimédia rêvaient d'horaires flexibles et de défis créatifs. Mais après avoir tâté le terrain, nombreux sont ceux qui aspirent maintenant à un boulot pépère, un vrai 9 à 5, avec leurs deux semaines de congé payées par année. Que s'est-il passé?

Non, les jeunes program meurs ne passent pas leurs journées autour de la table de billard. Les travaux d'équipe autour d'un café latte bien chaud, ils ne connaissent pas non plus. Les travaux d'équipe tout court, sont plutôt rares. Bien souvent, ils se retrouvent seuls, vissés devant leur écran d'ordinateur, les écouteurs cloués aux oreilles.

Et cela, c'est quand ils ont un contrat. Car bien souvent, après quelques mois de travail intensifs, de nuits blanches et de journées interminables à se creuser les méninges, ils se retrouvent à la rue. Fini.

C'est du moins ce qui ressort d'une enquête sur l'insertion professionnelle des jeunes de la génération dite «numérique», réalisée par Jacques Hamel, sociologue de l'Université de Montréal, dont les résultats sont rapportés dans le dernier numéro de la revue Regards sur le travail, publication du ministère du Travail.

«C'était tout à fait mon cas», confirmait hier Guillaume Carrier, 38 ans, qui se décrit avec cynisme comme un travailleur du «merveilleux monde du multimédia». Après six années à travailler comme développeur d'application Web pour l'Université Concordia, on a mis fin à son contrat. Le jeune homme, père de deux enfants, cherche maintenant un nouvel emploi. «Il y a beaucoup de contrats à court terme qui sont disponibles, mais cela n'offre aucune sécurité, cela ne nous permet pas de voir plus loin que la durée du contrat.» Obligations familiales obligent, il veut aussi «du neuf à cinq», et surtout, «la stabilité». «Il me faut au moins un contrat d'un an.»

Pour son étude, Jacques Hamel a interrogé en ligne quelques 1447 jeunes, tous inscrits, entre 1996 et 2001, aux cégeps et universités québécois offrant des programmes liés aux biotechnologies, à l'informatique et au multimédia (Université de Montréal, Université Laval, cégep de Lévis-Lauzon, collège de Maisonneuve et cégep de Sainte-Foy). Au moment du sondage, tous étaient aussi sur le marché du travail. Le chercheur a poursuivi l'enquête en rencontrant 135 jeunes, pour des entrevues d'une heure et demie, afin d'en savoir davantage sur leur intégration.

«Nous voulions voir si tout ce qu'on raconte sur la génération numérique se vérifiait», expliquait hier le chercheur.

«Je pensais que c'était la société de la connaissance. Que la connaissance de pointe donnait accès à des emplois bien rémunérés. Mais ce n'est pas ça.»

Il faut dire que ces jeunes se font souvent dire, pendant leurs études, que leur diplôme leur garantira un poste intéressant, des défis, de la création à plus soif.

Or, selon son enquête, si le diplôme sert certes dans le domaine des biotechnologies, il n'est pas «garant d'un bon travail». «Le diplôme y est pour beaucoup mais on fait un travail de technicien.»

À l'autre extrême, dans le secteur du multimédia «on cherche presque à camoufler son diplôme». Ici, c'est surtout le portfolio qui compte. «Les jeunes qui ont acquis des compétences dans le sous-sol de leurs parents, c'est très prisé.»

Là non plus, le travail n'est toutefois pas toujours des plus stimulants. «Le travail est parfois banal et ne comporte pas plus de défis qu'un emploi traditionnel. Par exemple, on leur demande toujours de faire des sites Web, et cela finit par être toujours la même affaire.»

La plupart des entreprises en multimédia sont aussi petites et très vulnérables à la demande. «Les jeunes travaillent souvent dans des conditions extrêmement difficiles, ils sont peu rétribués et doivent toujours s'ajuster à la demande des clients. À un moment donné, ça fait.»

Résultat? «Beaucoup se mettent à tirer la langue et à aspirer à un emploi plus stable.»

Une nuance, toutefois. Au début, les jeunes ne voient pas toujours ces exigences comme de l'exploitation, note à son tour Diane-Gabrielle Tremblay, professeure d'économie et de gestion à la TELUQ (désormais rattachée à l'UQAM), invitée à commenter l'étude. La chercheuse a elle-même mené une enquête sur le développement du multimédia à Montréal et signale que si la précarité du milieu ne fait aucun doute, «cela n'est pas toujours vécu sur le mode de la précarité». «Quand on est vraiment passionné par le développement multimédia, même si les heures sont parfois très longues, on a le sentiment de participer à une création artistique.»

«L'image de la table de billard en milieu de travail, reprend Jacques Hamel, ça ne tient pas, c'est une chimère. Les jeunes interrogés nous ont dit qu'ils n'avaient jamais vu ça. L'image véhiculée dans les médias de la bonne camaraderie entre les employés ne tient pas non plus. C'est un travail isolé, en cubicule, et il y a assez peu de contacts entre les employés. La concurrence existe beaucoup.»

Conclusion? Beaucoup de jeunes laissent échapper le même souhait: «Moi, j'aimerais mieux être fonctionnaire». Qui l'eût cru?