Le milieu des affaires regorge de ces dirigeants d'entreprise à la page qui aiment bien se pavaner avec le plus récent outil informatique sur le marché: téléphone intelligent, agenda numérique branché à Internet, portable dernier cri.

Le milieu des affaires regorge de ces dirigeants d'entreprise à la page qui aiment bien se pavaner avec le plus récent outil informatique sur le marché: téléphone intelligent, agenda numérique branché à Internet, portable dernier cri.

S'ils croient faire la promotion d'une nouvelle forme de travail plus productive, plusieurs font en réalité le contraire, estime le fondateur du Productivity Institute, Donald E. Whitmore.

Les résultats d'une enquête réalisée par son institut ont mené le Centre francophone d'information des entreprises (CEFRIO) à publier un court texte sur l'«infobésité», néologisme apparu ces dernières années pour décrire, entre autres choses, les cas de dépendance excessive aux technologies de l'information et de la communication (TIC).

Les statistiques invoquées sont éloquentes. Par exemple, un employé de bureau est dérangé à intervalles moyens de huit minutes, soit entre 50 à 60 fois par jour. Ces interruptions de travail durent environ cinq minutes, et quatre fois sur cinq, elles ne sont d'aucun apport au travail de l'employé. Résultat: trois heures de travail perdues, chaque jour, par les gens souffrant d'infobésité. C'est un sérieux obstacle à l'accroissement de la productivité promis par l'avènement des TIC!

Une question de pertinence

Comment est-ce possible? Aux yeux de plusieurs, c'est que l'information la plus facilement accessible est généralement aussi la moins rigoureuse, en termes de pertinence et de qualité.

Stephen Bell, bibliothécaire à l'Université de Philadelphie et également chercheur spécialisé dans les sciences de l'information, en impute la faute au moteur de recherche Google. C'est que le portail américain a la mauvaise habitude de placer au même degré d'importance un article scientifique tiré d'un site universitaire, la page promotionnelle d'un site Web d'entreprise et un texte d'opinion publié sur un blogue personnel.

La rigueur et l'éthique varient sensiblement d'un cas à l'autre. «L'infobésité est un dérivé de la Googlelisation, une diète néfaste d'information-malbouffe», dit-il.

Les phrases choc de ce chercheur ne manquent pas pour qualifier l'état de la situation, à ce chapitre.

Plus qu'une simple perte de productivité, l'infobésité prend à ses yeux l'allure d'un monde où l'information est accessible en quantité phénoménale, mais dont la qualité laisse souvent à désirer. Et les internautes, à tout le moins, s'en gavent. «C'est la mentalité de la suralimentation appliquée au monde de la cueillette d'informations!»

Le Dr Bell n'est pas seul à croire à cette surdose de l'information. Cela a d'ailleurs été le sujet de plusieurs débats, ces derniers mois, au sein de l'Association américaine des libraires, l'un des plus importants organismes de ce genre en Amérique du Nord.

Pas que du mauvais

Pourtant, l'infobésité n'est pas si terrible, si l'on en croit le professeur français Jean-Paul Pinte. Ce chercheur des TIC à l'Université catholique de Lille estime toutefois que cette " infobésité " est de plus en plus répandue, et pas seulement en milieu de travail.

Spécialisé dans le domaine de l'apprentissage en ligne (e-learning, comme on dit en français lillois), il espère que le milieu académique pourra contrebalancer ce phénomène, et même en profiter, en inondant le Web de ses propres travaux.

«Cette étonnante réussite, voire hégémonie d'un outil de recherche sur un public devenu infobèse n'est pas sans inquiéter l'école et les universités, à la source de la création des savoirs depuis plus de huit siècles», écrit-il, non sans ironie, sur son blogue personnel, dans le site Web du journal français Le Monde.

«À l'heure où celles-ci s'ouvrent aux plateformes numériques, Google serait l'agent intelligent par excellence qui gommerait toutes les limites de recherche en plein texte et dont les résultats fourniraient une pertinence si souvent décriée par nos documentalistes», dit-il.

Combattre le feu par le feu? Voilà une solution qui ne pourra certainement pas contrer la prolifération de l'" infobésité ", mais qui aurait au moins le mérite de diriger les " infophages " vers des sources d'informations de meilleure qualité, en mesure d'améliorer leurs connaissances et leur efficacité, que ce soit au travail ou à l'école.

Alain.mckenna@lapresse.ca