En pleine gloire il y a quatre ans, Jenn Heil a choisi de s'éloigner du ski acrobatique pendant 18 mois afin de soigner son corps. Entourée de spécialistes, la bosseuse montréalaise, qui tentera ce soir de défendre son titre olympique, a littéralement eu à réapprendre à marcher, à bouger et à skier. Un exemple de courage et de ténacité de la part d'une athlète prête à tout pour repousser encore davantage ses limites.

Vous êtes médaillée d'or olympique. Vous venez de monter deux fois sur le podium aux championnats du monde. Vous êtes au sommet de votre art, en parfaite maîtrise de votre sport. La dernière chose à faire serait de changer une formule gagnante, n'est-ce pas? Pas si vous vous appelez Jenn Heil.

 

La bosseuse montréalaise, qui tentera ce soir de défendre son titre olympique sur la piste de Cypress Mountain, est allée à l'encontre des idées reçues depuis sa victoire des Jeux olympiques de Turin, il y a quatre ans.

Après une saison 2006-07 couronnée de succès - championne du monde en duel, médaille d'argent en simple -, Heil s'est éloignée du ski acrobatique pendant 18 mois. Une occasion de se concentrer sur ses études en administration à McGill, mais surtout, de reconstruire son corps d'athlète.

Depuis un moment, Heil éprouvait des douleurs au genou droit. Rien pour l'empêcher de briller sur le circuit de la Coupe du monde, mais assez pour la déranger chaque fois qu'elle entrait dans des phases d'entraînement intensif. Et assez pour l'inciter à tricher légèrement dans ses virages droits. «Ce n'était pas visible à l'oeil nu, même des juges, mais on savait qu'en réglant ça, on pourrait aller chercher une vitesse plus grande», explique l'entraîneur et copain de Heil, Dominick Gauthier.

Posture

C'est ici qu'entrent en scène l'ancien préparateur physique du Canadien de Montréal, Scott Livingston, et sa femme, Jaime Sochasky. Avec l'ostéopathe Dave Campbell, le couple a conçu un programme visant carrément à changer la posture et la démarche de Heil. Un long et éreintant processus impliquant des exercices simples, mais hyper-répétitifs, et visant à casser les habitudes de toute une vie.

La douleur au genou était en fait le symptôme d'un problème de posture du bassin et des hanches. «Elle a eu à réapprendre comment elle marche, comment elle bouge, comment elle crée une force - et ensuite, réapprendre à skier en tenant compte de ça, explique Livingston. C'est un processus très spécifique, qui implique beaucoup de répétitions, pour éviter qu'elle ne retombe dans ses vieilles habitudes quand elle est fatiguée.»

Heil avait tendance à trop arquer le bas de son dos, une posture exigeante dans un sport où les chocs sont très violents. «C'est comme une voiture. Si on roule en ville, on a besoin de petits amortisseurs. Si on fait du hors-piste, ça en prend de plus gros. Et si on fait le Baja 500, il faut des méga-amortisseurs. Il fallait en arriver là avec Jenn. Comme elle est une athlète exceptionnelle, elle était capable de se contenter des petits amortisseurs. Mais le résultat, c'est qu'elle éprouvait de la douleur.»

Gauthier emprunte aussi au monde de l'automobile pour expliquer ce qu'a traversé sa copine. «C'est comme une Ferrari qu'on pousse au maximum. Si les roues ne sont pas alignées parfaitement, les freins - les genoux, dans ce cas-ci - vont brûler plus vite. En éliminant les vieux patterns, on peut s'entraîner sans douleur.»

Heil ne cache pas que le processus a été «plutôt ennuyant». «On travaillait sur des détails minuscules, mais qui comptent quand on pousse son corps à la limite», dit l'athlète de 26 ans.

Après une saison loin des pentes, Heil a repris le collier à l'hiver 2008-09. Mais l'apprentissage n'était pas terminé. Il fallait encore s'assurer que sa biomécanique toute neuve tienne le coup en situation de compétition. Elle n'a pas poussé immédiatement la machine à fond. «C'est ce qui était le plus difficile la saison dernière: avoir la patience nécessaire pour me retenir», dit Heil. Elle a tout de même fini deuxième au classement de la Coupe du monde, avant de gagner l'argent aux Mondiaux d'Inawashiro, au Japon.

Ténacité

Cette saison, Heil peut finalement mettre toute la gomme. Et les résultats sont au rendez-vous: quatre victoires en six épreuves de Coupe du monde. «Après les Jeux de 2006, l'objectif de Jenn était d'améliorer tous les aspects de son ski. Avec sa force technique et sa plus grande vitesse, elle peut maintenant sauter plus haut», se réjouit Gauthier.

Jaime Sochasky, qui a accompagné Heil au quotidien dans son travail de reconstruction, s'émerveille de la ténacité de l'athlète. «Elle aurait pu tout plaquer pour retourner à la compétition et elle aurait été numéro un. Mais elle était déterminée à se rendre au bout du processus et d'être encore meilleure qu'avant.»

Il est plutôt inusité qu'une athlète aussi jeune prenne ainsi congé de son sport pour soigner son corps. Tiger Woods, une idole de la skieuse - pour son jeu, pas pour ses activités extracurriculaires - est un des rares exemples récents. Il avait mis de longs mois à reconstruire son élan, en 2004.

«Les sportifs devraient tirer une leçon de ce que vient de faire Jenn, pense Livingston. Ils pourraient non seulement prolonger leur carrière, mais aussi atteindre un niveau de performance qu'ils n'ont jamais atteint.»

C'est ce que Heil souhaite accomplir à Vancouver. «Ma joie et ma satisfaction, je les tire d'une descente parfaite. C'est ce que j'ai fait à Turin. Et je veux faire encore mieux à Vancouver. Je sais que j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour y parvenir.»