Comme les gars du relais courte piste, médaillés d'or vendredi grâce à la «stratégie Cobra», l'équipe masculine de poursuite en longue piste a utilisé une arme secrète pour monter sur la plus haute marche du podium, samedi, à l'Anneau olympique de Richmond : la Poussée.

Considérés comme des outsiders dans la course à la médaille d'or, Mathieu Giroux, Denny Morrison et Lucas Makowsky ont défait l'équipe américaine en finale, leur chrono de 3 :41.37 leur assurant une avance de 21 centièmes sur leurs rivaux.

Giroux, 24 ans, est devenu le premier athlète né au Québec à remporter une médaille olympique en longue piste depuis que Gaétan Boucher a gagné l'or dans le 1000 et le 1500 m et le bronze dans le 500 m aux Jeux de Sarajevo, en 1984.

«Je ne veux pas être comparé à Gaétan Boucher, s'est empressé de déclarer Giroux après la course. Il est un des grands et je n'ai rien fait comparativement à lui. Mais j'espère que ça va influencer d'autres jeunes qui font du courte piste au Québec à aller en longue piste.»

Avec cette médaille d'or, le patineur de Pointe-aux-Trembles a brillamment conclu une aventure entreprise il y a moins de 18 mois, au moment où il a décidé d'abandonner la courte piste et de passer une année à Richmond et à Calgary pour tenter sa chance en longue piste.

«Il fallait que j'aie les conditions idéales pendant un an. Je n'avais pas beaucoup de temps. Un anneau couvert, ça prend ça pour se développer au Québec. Je pense que ça s'en vient», a dit Giroux, qui reviendra à Montréal compléter ses études en pharmacie avant de reprendre sa préparation pour les Jeux de Sochi, en 2014.

Une petite poussée

Le succès du trio canadien, qui avait battu deux fois le record olympique la veille en défaisant successivement l'Italie et la Norvège, aurait été impossible sans un petit geste qui peut facilement passer inaperçu pour le néophyte : la poussée.

En poursuite, deux équipes de trois patineurs s'affrontent et effectuent huit tours de piste. Le patineur placé en tête travaille plus fort, comme un cycliste qui mène un peloton. Dans son sillage, ses coéquipiers profitent de l'effet d'aspiration.

L'équipe canadienne a ajouté une variante : ceux qui patinent derrière poussent à intervalles réguliers ceux qui sont devant. «Le gars en troisième position est dans une bulle aérodynamique et ne force pas autant, explique l'entraîneur de l'équipe de poursuite masculine, Marcel Lacroix. Il donne une petite poussée dans les fesses du deuxième et celui-ci fait la même chose avec le premier. Juste une petite tape pour garder l'élan. Parce que quand tes jambes faiblissent, l'élan diminue. Sans cette petite poussée qui crée de la vitesse, nous n'aurions pas gagné l'or aujourd'hui.»

La poussée était la carte cachée des Canadiens, les seuls à employer régulièrement cette technique pendant les Jeux, selon Lacroix. «On ne l'avait jamais fait en compétition, même en championnat du monde, a-t-il dit. Même à Calgary quand on a fait des répétions en vue de la poursuite, on s'est assuré qu'il n'y avait personne dans la bâtisse. C'est tellement efficace que c'en est stupide. Je peux vous garantir que les autres équipes vont regarder la vidéo et se demander pourquoi elles n'y ont pas pensé!»

L'équipe canadienne a réduit au minimum les relais en tête. Locomotive de l'équipe, Morrison a mené les deux premiers et les deux derniers tours, Makowsky, puis Giroux, prenant successivement le relais dans les tours intermédiaires. «C'était une stratégie spécifique à la glace lente de Richmond, a dit Lacroix. Chaque fois que tu fais un échange, tu perds trois dixièmes. Alors plus tu fais d'échanges, plus tu perds de temps.»

Giroux a joué un rôle important dans la victoire en allant chercher beaucoup de vitesse dans les virages, a indiqué l'entraîneur. «Il a vraiment appuyé sur la pédale pendant ses deux tours en tête. On avait bien commencé, mais les Américains commençaient à reprendre du terrain et le gars de courte piste en Mathieu l'a senti tout de suite.»

Giroux a gagné sa médaille moins de 24 heures après que ses autres anciens partenaires d'entraînement en courte piste aient décroché l'or au relais 5000m grâce à une stratégie inusitée qui a permis à François-Louis Tremblay de sauter un relais pour économiser des forces en vue du sprint final.

«Avant leur course, des gens disaient sur Facebook qu'il y a aurait au moins un gars de courte piste qui aurait une médaille, en parlant de moi, a dit Giroux. Les gars n'avaient pas encore gagné, mais j'avais tellement confiance en eux. Leur stratégie a vraiment bien fonctionné, c'était incroyable. Maintenant, j'ai ma médaille d'or moi aussi, alors il n'y aura pas de chicane!»

Des remous

La médaille d'or en poursuite est par ailleurs arrivée à point nommé pour Denny Morrison, qui avait gagné l'argent dans la même épreuve à Turin, il y a quatre ans. L'athlète de 24 ans avait grandement déçu depuis le début des Jeux. Aspirant au podium sur 1000 et 1500m, cet ancien champion du monde avait terminé 13e et 9e et avait blâmé à peu près tout le monde sauf lui-même dans les médias.

Avant de s'excuser publiquement le lendemain, Morrison s'était aussi interrogé publiquement sur sa motivation à participer à la poursuite, une remarque qui a causé des remous au sein de l'équipe, a reconnu Lacroix.

«J'ai dû prendre le taureau par les cornes. On s'est rencontrés, il s'est excusé et a admis que ce n'était peut-être pas le temps de faire ça, que son coeur avait parlé plus que son cerveau, a raconté l'entraîneur. Il a dit «je pourrais sucer mon pouce dans mon coin, mais j'ai une médaille à aller chercher et je ne pourrai pas le faire sans ces gars-là et vice-versa».

Morrison a reconnu avoir vécu «des montagnes russes émotionnelles» pendant la quinzaine olympique. «J'aime surtout le dénouement. Après beaucoup d'agitation, c'est une histoire avec une belle fin.»