Xiuli Wang l'avoue : elle n'avait jamais entendu parler de Clara Hughes quand le patron de l'Anneau olympique de Calgary lui a demandé si elle accepterait de la prendre sous son aile, il y a près de 10 ans.

L'entraîneuse d'origine chinoise vivait au Canada depuis quatre ans à l'époque. Mais le cyclisme, le sport qui avait permis à Hughes de remporter deux médailles de bronze aux Jeux olympiques d'Atlanta, ne figurait pas vraiment sur son écran radar. «Je me demandais pourquoi le directeur de l'Anneau, Jacques Thibault, s'intéressait autant à une fille qui voulait essayer le patinage de vitesse», raconte Wang en riant.

En fait, Hughes avait déjà fait du patin à l'adolescence. Mais elle avait abandonné le sport pour se consacrer à une florissante carrière en vélo. Après les Jeux de Sydney, les seuls de sa carrière où elle n'a pas remporté de médaille, elle s'est mis en tête d'essayer de se qualifier pour les Jeux d'hiver de Salt Lake City.

L'échéance était courte : à peine 17 mois. Et l'expérience a failli mal tourner. Avant de rencontrer Wang, Hughes, qui payait de sa poche pour son temps de glace, s'est entraînée quelques jours avec un autre coach, dont les méthodes la laissaient perplexe. «Une vraie farce», dit-elle. Elle songeait à partir s'entraîner aux Pays-Bas quand l'ancienne médaillée olympique Susan Auch lui a parlé de Wang.

À l'époque, Wang travaillait avec les jeunes patineurs à l'Anneau, mais ne faisait pas partie de l'équipe nationale. «Elle venait juste de finir sa certification d'entraîneuse et ne parlait pas très bien anglais. Mais j'ai décidé d'essayer, se souvient Hughes. Les gens pensaient que j'étais folle. Mais dès le moment où je l'ai rencontrée, j'ai su que j'avais trouvé mon professeur. Sa façon de se comporter, les questions qu'elle me posait, j'ai tout de suite établi un lien avec elle.»

Un pari payant

Diplômée en littérature anglaise et membre de l'équipe nationale chinoise de longue piste de 1983 à 1992, Wang a été championne du monde du 1500 m, en 1990. Elle est débarquée au Canada comme chercheuse invitée à l'Université d'Ottawa, en 1996. Le club de Calgary l'a invitée à travailler comme entraîneuse bénévole l'année suivante. De fil en aiguille, elle est devenue entraîneuse régulière à l'Anneau olympique.

Wang a vite constaté que Hughes était un diamant brut. Dès sa première course, elle a signé un chrono de 7 min 19 sur 5000 m, un temps remarquable pour une athlète dont la technique restait éminemment perfectible. «Le potentiel était évident, dit Wang. Elle venait de faire 10 ans de cyclisme. Elle avait entraîné son corps et son cerveau comme une professionnelle.»

Sous la tutelle de Wang, Hughes a progressé à une vitesse phénoménale. «Sept semaines plus tard, j'ai fait l'équipe nationale, raconte la patineuse. Et trois mois après, j'ai fini 11e à mes premiers Championnats du monde.»

Hughes a ensuite insisté pour que Wang l'accompagne partout. «Je suis allée à l'encontre de la norme, mais j'ai dit clairement qu'on ne me ferait pas changer d'entraîneur. Je pense que Xiuli a été surprise.»

Le pari s'est avéré payant. À Salt Lake City, Hughes a gagné sa troisième médaille olympique, le bronze dans le 5000 m, et est devenue le quatrième athlète seulement à monter sur le podium aux Jeux d'hiver et d'été.

Finalement intégrée à l'équipe nationale, Wang a pris la responsabilité de plusieurs patineurs, dont Kristina Groves. Les succès ont continué : aux Jeux de Turin, Hughes a gagné l'or dans le 5000 m et Groves l'argent dans le 3000 m, les deux partageant en plus l'argent avec Cindy Klassen et Christine Nesbitt dans la poursuite.

«Ça m'a pris six mois à m'habituer, mais depuis, c'est parfait», dit Groves, qui figure avec Hughes parmi les aspirantes au podium dans le 5000 m d'aujourd'hui. «Xiuli est très dure. Elle me force constamment à me dépasser. Il y a des gens qui ne sont pas capables de composer avec ça. Elle ne passe pas son temps à nous dire qu'on est bonnes. Elle est plus du genre à nous souligner ce qu'on fait mal. C'est quand elle ne dit rien que je sais que ça va bien.»

Wang est une maniaque de la technique. «Elle est très méthodique et va passer beaucoup de temps pour corriger de petits détails», dit l'entraîneur québécois Gregor Jelonek, qui collabore régulièrement avec elle et l'assiste à Vancouver.

C'est un trait de caractère qu'apprécie Hughes. «Ce que j'aime de Xiuli, c'est sa force tranquille, dit-elle. Les athlètes qui s'entendent avec elle sont à son image. On ne fait pas trop de bruit, mais on peut être intenses quand ça compte.»

Une évaluation que partage Wang. «Clara exige toujours 100% d'elle-même. C'est pour ça qu'elle performe encore après 20 ans. Avec tout ce qu'elle a accompli, elle aurait pu vivre juste de son nom. Mais elle a continué. Parce qu'elle adore ça. Et parce qu'elle pense qu'elle n'a pas encore tout donné ce qu'elle avait à donner. Je le pense aussi.»