Christine Nesbitt souriait, mais ses yeux trahissaient une perplexité évidente. Comme si la patineuse, toujours impitoyable dans son autocritique, n'arrivait pas encore à croire que oui, elle avait bel et bien gagné la médaille d'or dans le 1000 m féminin.

«Je ne sais pas comment réagir, c'est tellement bizarre, je n'ai pas l'impression d'avoir gagné», a dit Nesbitt, quelques minutes après avoir procuré au Canada sa troisième médaille d'or des Jeux.

Nesbitt a sans doute livré sa course la moins convaincante de la saison. Mais sa détermination et son refus de céder à la panique ont permis à la patineuse ontarienne de gagner une médaille qui risque d'avoir un effet motivateur puissant sur l'équipe canadienne de patinage de vitesse longue piste d'ici la fin des Jeux olympiques de Vancouver.

Vingt-quatre heures après la contre-performance de son partenaire d'entraînement Denny Morrison, décevant 13e dans le 1000 masculin, Nesbitt a carrément mis le feu à l'Anneau olympique. Elle a su garder son calme malgré un faux pas au départ et a patiemment remonté la pente. Après 200 m, elle pointait au 15e rang et avec un tour à faire, elle était neuvième.

Elle a douté, sentant bien que sa technique n'était pas tout à fait à point et que la foule, incertaine, devenait soudainement plus silencieuse. Mais lors du dernier croisement, profitant de l'effet d'aspiration procuré par l'Allemande Monique Angermuller, elle a enfoncé la pédale au plancher pour atteindre la ligne d'arrivée en un temps de 1:16,56. Son kick un peu raté ne l'a pas empêchée de devancer par deux petits centièmes l'éventuelle médaillée d'argent, Annette Gerritsen, des Pays-Bas.

«Je suis très fière de moi», a dit Nesbitt. Il y a un an ou deux, sans dire que j'aurais abandonné - je déteste ça et je ne le fais jamais - je n'aurais pas eu le même élan. Ma préparation mentale a vraiment payé.»

Dernières à s'élancer, la Canadienne Kristina Groves et la Néerlandaise Margot Boer auraient pu gâcher sa fête. «Je n'étais pas contente à la fin de ma course, a dit Nesbitt. Je ne pensais pas que mon temps tiendrait, car les deux autres filles sont très fortes. Je savais qu'au pire, j'avais le bronze. Mais je ne suis pas venue ici pour gagner le bronze.»

Groves et Boer ont finalement confirmé sa victoire en signant les quatrième et sixième temps. Nesbitt s'est empressée d'aller embrasser son copain, le patineur hollandais Simon Kuipers, au bord de la piste, avant de compléter quelques tours de célébration, les épaules ceintes d'un drapeau canadien, en compagnie de son entraîneur, Marcel Lacroix.

Nesbitt a dit avoir été calme juste avant le départ, mais a avoué s'être sentie très nerveuse dans les heures précédant l'épreuve. Son anxiété se sentait rien qu'à l'entendre soupirer bruyamment, a raconté Lacroix.

Son angoisse était le reflet des attentes, énormes, suscitées par Nesbitt. Comme l'Américain Shani Davis, qui a défendu avec son succès son titre olympique du 1000 m, mercredi, Nesbitt s'est amenée à Vancouver avec le statut de grande favorite. Sacrée championne du monde sur la distance il y a un an à Richmond, elle avait remporté les quatre 1000 m disputés lors des Coupes du monde de l'automne, avec une avance moyenne d'une demi-seconde sur ses plus proches poursuivantes.

Sa domination a été moins évidente, jeudi. «Ma course n'a pas été jolie. J'ai été chanceuse», a dit Nesbitt. Chanceuse? Oubliez ça. Elle a plutôt puisé dans ce qui fait sa force : sa soif de victoire, un trait de caractère qui se manifestait déjà à l'époque où, petite fille, elle jouait au hockey dans la rue avec son frère aîné, Doug, et ses amis, à London, en Ontario. «Christine Nesbitt est un Shani Davis, dit Marcel Lacroix. Elle veut vraiment gagner.»

À Turin, Nesbitt avait fini 14e dans le 1000, une expérience presque traumatisante pour la patineuse, qui avait alors seulement 20 ans. Lacroix avait pourtant intercepté le psychologue sportif de l'équipe, qui s'apprêtait à aller la réconforter. «Je lui avais dit : " Laisse-la sentir la déception, laisse-la ruminer, pour qu'elle voie ce que c'est quand ça fait mal. " C'est important de vivre la déception, le deuil. Ça va payer. Elle va vouloir l'or.» Quelques jours plus tard, Nesbitt avait pris le septième rang dans le 1500, avant de décrocher une médaille d'argent en compagnie de Cindy Klassen, Clara Hughes et Kristina Groves dans la poursuite par équipe.

Elle était lancée.

L'expérience turinoise a été un moment charnière dans le développement de cette ancienne patineuse de courte piste, convertie à l'anneau de 400 mètres quand elle a déménagé à Calgary après avoir été refusée à la fac de génie de McGill. «J'ai vu Clara, Kristina et Cindy vraiment bien réussir, me racontait-elle l'automne dernier. Je savais que j'avais les mêmes occasions qu'elles, et ça m'a motivée à passer au niveau supérieur, à devenir plus professionnelle et plus engagée à l'entraînement.»

L'ultime récompense est arrivée jeudi. «À Turin, j'étais une passagère, a dit Nesbitt. C'est bien de voir que je peux parvenir au podium par mes propres efforts.»