Joannie Rochette avait prévu une petite demi-heure pour les médias locaux qui voulaient une ultime entrevue avant son départ pour Vancouver. Quatre-vingt-dix minutes plus tard, elle n'avait pas encore satisfait à toutes les demandes, jeudi après-midi, après sa séance d'entraînement à l'aréna Martin-Brodeur de Saint-Léonard.

À la fin de l'exercice, Rochette, assise dans les gradins, reprenait son souffle, un peu crispée. «D'avoir vu les médias, ça m'a un peu tendue», a-t-elle candidement admis, encapuchonnée dans son épais duvet.

Avant de se livrer aux médias montréalais, la patineuse de 24 ans avait aussi participé à une conférence téléphonique avec les journalistes du reste du pays.

Si Rochette entretenait le moindre doute sur les attentes placées en elle en vue des Jeux olympiques, cette journée bien remplie l'aura dissipé.

La question qu'elle n'est plus capable d'entendre? «Sens-tu beaucoup la pression de patiner devant les tiens à Vancouver?» La pression, elle la sent tout le temps, enjeux olympiques ou non, dit-elle.

«J'ai fait les Championnats des Quatre-Continents à Vancouver l'an dernier, a rappelé la vice-championne du monde en titre. C'est une expérience un peu semblable. C'est une espèce de déjà-vu qui va nous aider à être confortable là-bas. Oui, les Jeux, c'est encore plus gros. Mais aux Quatre-Continents, beaucoup de fans coréens sont venus pour encourager Yu-na Kim (ndlr: championne du monde en titre). C'était quand même assez impressionnant de voir cette foule-là.»

La question qui n'est jamais venue et qu'elle aurait aimé se faire poser? «Qu'est-ce que tu fais si ça n'arrive pas, si tu ne montes pas sur le podium à Vancouver?»

Rochette a eu à faire cette réflexion après avoir assisté à la conférence d'un ancien skieur canadien. Il avait raté le podium olympique sur une malencontreuse erreur en fin de parcours. Plusieurs années après les faits, l'amertume l'habitait encore.

«Je trouve ça triste», a dit Rochette, qui refuse de s'exposer à une telle déception. «Oui, le patin, c'est important pour moi. Mais peu importe ce qui va arriver, l'essentiel est d'avoir eu le guts d'atteindre ce podium-là. J'ai pris la décision que je préférais vivre la déception de ne pas atteindre mon but que de ne pas avoir eu de but du tout.»

Elle compare son état d'esprit à celui d'une personne qui se lance à plein dans une relation amoureuse, au risque de se brûler. «Si je ne gagne pas de médaille, je serai triste, déçue et je vais passer à travers plein d'émotions. Sauf qu'un mois après, il y a aura les championnats du monde, je serai debout sur mes patins, de retour à l'entraînement, et la vie va continuer.»

Cette dernière phase de préparation est généralement très difficile. Les coéquipiers ont fini leur saison compétitive et l'atmosphère est plus décontractée sur la glace à l'entraînement.

Pour l'aider à rester à l'affût cette semaine, Rochette peut compter sur la présence de son ami Jeffrey Buttle. L'ancien champion mondial la conseille tant sur le plan technique que mental.

«Il est super créatif - c'est un chorégraphe - et il m'a toujours passé des commentaires sur mon patinage, a-t-elle dit. Il m'aide à relaxer.»

Il y a quatre ans, Buttle s'était aussi joint au groupe d'entraînement de Joannie avant de gagner sa médaille de bronze aux Jeux de Turin. Il comprend très bien la tension que peut ressentir la sextuple championne canadienne.

«Elle va bien, mais elle passe à travers ce que n'importe quel olympien doit vivre, a dit Buttle. Il y a un certain niveau de stress. Ce n'est pas facile quand tu as le poids du monde sur tes épaules. Heureusement, le côté artistique de ce sport permet de t'évader mentalement.»

À la retraite depuis sa victoire aux Mondiaux de Göteborg, en 2008, Buttle est resté une sacrée bête d'entraînement, souligne Rochette. «Il pourrait encore faire de la compétition, a-t-elle dit. Peu importe le moment de l'année, même si c'est l'été ou les vacances, il va toujours suer et se donner à fond. C'est le fun d'être avec quelqu'un comme ça.»

Rochette s'envolera pour Vancouver jeudi prochain. Juste à temps pour participer à la cérémonie d'ouverture. Ensuite, elle devra garder sa concentration jusqu'à son entrée en scène, vers la fin de la deuxième semaine des Jeux.

À Turin, où Rochette avait causé la surprise en se classant cinquième, ce long délai avait été son principal défi : «Souvent, tu pars pour une pratique à six heures du matin et tu vois d'autres athlètes qui rentrent de veiller parce qu'ils ont fini leur compétition Je comprends, c'est normal, mais c'est important de rester dans sa bulle et d'avoir un plan pour ça.»

Si l'environnement n'est plus aussi propice, Rochette prévoit d'ailleurs emménager dans la chambre de son entraîneuse Manon Perron, comme elle avait fait à Turin. Elle a aussi prévu se tenir avec des athlètes qui seront eux aussi en action tardivement. Quand tout sera fini, il sera encore temps de célébrer. Médaille ou pas.