Quand la musique de Debussy s'est arrêtée, tout le monde a poussé un soupir de soulagement. Cynthia Phaneuf a brandi le poing droit, à la manière de la joueuse de tennis qui réussit à placer une balle sur la ligne.

Phaneuf s'est débarrassée de tout le poids du monde en réalisant le meilleur programme court de sa carrière pour prendre la tête aux championnats canadiens de patinage artistique, vendredi après-midi.

Avec un record personnel de 66.30 points, elle a devancé la quintuple championne Joannie Rochette (64.15), qui a chuté sur son triple Lutz d'ouverture.

Mais avant tout, pour son 22e anniversaire, ce samedi, Phaneuf s'est offert un coussin très significatif vis-à-vis ses principales rivales pour le deuxième poste disponible en vue des Jeux olympiques de Vancouver. Les Québécoises Amélie Lacoste (53.99) et Myriane Samson (53.15) occupent respectivement le troisième et le quatrième rang.

Après avoir symbolisé le manque de confiance pendant des années, Phaneuf a enfin réalisé une performance à la hauteur de son potentiel.

«Je suis super fière. Ça fait tellement du bien de patiner comme ça devant tous ceux que j'aime, mon copain, ma famille», a déclaré l'athlète de Contrecoeur.

L'entraîneuse Annie Barabé semblait encore plus ravie pour celle qu'elle considère comme sa propre fille. Il fallait voir leur sourire presque béat tout juste avant l'annonce des résultats. Phaneuf s'est assise sur les genoux de Barabé, qui lui tapotait la cuisse.

«Combien de fois je l'ai vue débarquer de la glace en me disant: c'est donc bien poche le patin quand tu ne patines pas bien», a raconté Barabé un peu plus tard.

En effet, la route a été longue et ardue. Championne canadienne précoce à l'âge de 15 ans en 2004, Phaneuf s'est fracturé un pied l'année suivante, ce qui l'a empêchée de tenter sa chance pour les Jeux olympiques de Turin. La convalescence a été longue, l'adolescente est devenue une femme, son corps a changé, et elle a eu toutes les misères du monde à revenir, songeant même à tout plaquer.

«Elle est passée de star à rien», résume le quadruple champion du monde Kurt Browning. «J'étais sur la glace avec elle et elle ne pouvait même plus faire un double Axel.»

À force d'acharnement, Phaneuf, un «spécimen» physique dixit Browning, a réussi à remonter les échelons. Les échecs ont quand même été nombreux et douloureux, mais jamais autant que celui de Skate Canada, à Kitchener, pas plus tard qu'en novembre dernier, son dernier test avant la sélection olympique de London.

Après un bon programme court, Phaneuf s'est littéralement effondrée au libre, chutant deux fois durant les 40 premières secondes.

«Quand elle est passée devant moi, son visage voulait dire: Annie, viens me chercher, a relaté Barabé. Elle ne voulait pas être là. Elle n'était plus là. Elle était comme un robot.»

En discutant avec la commentatrice et ex-patineuse Tracy Wilson, peu après, Barabé s'est même demandé: peut-on se remettre de cela?

Phaneuf elle-même en doutait. Pas étonnant qu'en sortant de la patinoire, vendredi, elle ait lancé à Barabé: «Je l'ai-tu fait?» Eh bien oui. «Depuis le début de l'année, je n'arrivais pas à livrer une performance comme je le faisais en pratique, a expliqué Phaneuf un peu plus tard. Là, j'ai fait un copier-coller. J'étais dans ma séquence arabesque et je pense que je ne le croyais pas encore.»

Bien qu'elle s'entraîne à Saint-Léonard avec Lacoste et Samson, Joannie Rochette ne pouvait que se réjouir pour celle avec qui elle entretient une «rivalité amicale». «Je veux que tout le monde fasse bien, mais j'étais particulièrement contente pour Cynthia parce que je sais que le chemin n'a pas été facile, a dit la vice-championne du monde. Elle a travaillé tellement fort, c'est bien mérité.»

Heureuse et soulagée, Phaneuf se gardait bien de triompher. L'an dernier, à Saskatoon, elle s'était retrouvée dans la même position avant de s'effondrer au programme libre. «Je ne m'y attendais tellement pas que la première chose qui m'était venue en tête c'était: ah! je patine après Joannie! Ça m'avait un peu mis sur le frein à bras pour le programme libre.»

Cette fois, elle dit s'être préparée à tous les scénarios, incluant celui de gagner. De toute façon, elle se mesurera davantage à Lacoste et Samson qu'à Rochette, que l'entraîneuse Barabé range dans une «classe à part». Car une chose est claire dans la tête de Phaneuf: ce qu'elle est venue chercher à London, c'est son rêve de petite fille, les Jeux olympiques.