En montant deux fois sur le podium à Vancouver, le patineur François-Louis Tremblay est devenu l'athlète masculin le plus médaillé de l'histoire olympique canadienne, à égalité avec Marc Gagnon. Cette réussite est passée presque inaperçue. Retour sur le triomphe discret d'un quintuple médaillé olympique.

Il est tard mercredi soir et François-Louis Tremblay est dans une chambre d'hôtel à Sofia. Il revient d'un souper d'équipe en prévision des championnats du monde de patinage de vitesse courte piste, qui se sont mis en branle dans la capitale bulgare avec la présentation des 1500 mètres, hier. Tous les patineurs canadiens ont été stoppés en demi-finale, à l'exception de Kalyna Roberge, cinquième de la finale.

 

L'équipe canadienne espérait transporter à Sofia son enthousiasme des Jeux olympiques de Vancouver, qui se sont conclus en apothéose avec trois médailles lors de la dernière soirée de compétition.

Tremblay a été l'acteur principal pour deux d'entre elles, le bronze du 500 mètres et l'or du relais 5000 mètres, où, dans une ambiance électrisante, il a disputé les deux derniers tours, le «plus beau moment» de la carrière de celui qui patine depuis déjà 25 ans.

«Pendant 18 secondes, bien franchement, les 15 000 spectateurs qui criaient dans l'aréna, je ne me rappelle même pas les avoir entendus, raconte-t-il. J'essayais de voir les patineurs derrière. C'était une concentration totale sur la course. Je n'avais pas le temps d'être déconcentré, ça allait tellement vite. Dans le fond, on s'entraîne pour ça. Dans ces moments-là, c'est un peu comme notre deuxième nature qui prend le dessus.»

Ce n'est que dans les semaines suivantes que Tremblay a pris la mesure de la pression qu'il avait surmontée.

Pression de battre les quatre meilleurs finisseurs au monde. Pression de ses quatre coéquipiers, mais aussi celle de leur famille et de leurs amis. Pression des commanditaires et du programme À nous le podium, qui ont investi des sommes importantes dans le sport. Pression des anciens patineurs, pour qui l'or du relais représente un symbole fort. Sans oublier la pression des entraîneurs et dirigeants, vers qui les doigts auraient été inévitablement pointés en cas d'échec.

«C'était une grosse commande», résume sobrement Tremblay, désigné comme dernier relayeur par l'entraîneur Derrick Campbell en août dernier.

 

Un exploit

Dans l'euphorie de la victoire, combinée au triomphe salvateur de Charles Hamelin au 500 mètres, on a un peu oublié que Tremblay venait d'atteindre l'impressionnant total de cinq podiums olympiques, ce qui le plaçait ex aequo avec son ancien coéquipier Marc Gagnon au sommet du palmarès canadien.

Il a fallu qu'un journaliste le lui souligne pour que Tremblay se souvienne de cette statistique. Il a mieux saisi l'ampleur de sa réussite en plaçant ses cinq médailles l'une à côté de l'autre à la résidence familiale de Boucherville. Il a pu les peser, les comparer.

Mais ce qui a vraiment remué François-Louis Tremblay, c'est de voir son nom devant celui du grand Gaétan Boucher, gagnant de quatre médailles olympiques. Le même Gaétan Boucher qui lui avait remis sa toute première médaille à sa première compétition, à Roberval, quand il avait quatre ans.

«Je me disais: «wow, ça n'a pas de bon sens.» Cinq médailles, c'est dur à croire. Pour le reste de ma vie, ces médailles sont là pour rester. Ce n'est pas éphémère comme la gloire des Jeux.»

La gloire olympique, Tremblay n'y avait jamais vraiment goûté. À Salt Lake City, en 2002, il était le jeunot du relais et Gagnon, personnage plus grand que nature, avait pris toute la place. À Turin, en 2006, Tremblay avait été le meilleur patineur courte piste canadien en raflant l'argent au 500 mètres et au relais. Survenu à l'avant-dernière des Jeux, l'événement avait eu peu de retentissement au pays. Anouk Leblanc-Boucher, médaillée de bronze au 500 m et d'argent au relais, avait accaparé toute l'attention.

 

Une personnalité discrète

Cette année, les projecteurs ont été tournés vers Charles Hamelin, qui a décroché deux médailles d'or en 30 minutes, et sa blonde Marianne St-Gelais, première médaillée canadienne en courte piste à Vancouver. Le couple a fait un passage remarqué à Tout le monde en parle. Tremblay a été vu dans quelques émissions du matin et entendu à la radio.

Interrogé à ce sujet, Jonathan Guilmette pense que son ancien coéquipier et grand ami n'est pas reconnu à sa juste valeur. «Avec le temps, je comprends un peu mieux comment fonctionnent les médias et je ne suis pas surpris de ça, constate Guilmette, aujourd'hui entraîneur. On dirait que ça prend tout le temps une histoire à l'eau de rose ou un scénario de film.»

Il y a aussi la personnalité de François-Louis. «Il n'est pas extraverti, note Guilmette. Avec les gens, il préfère être en mode écoute. Il a aussi l'air sérieux, parfois même un peu bête. Il est pince-sans-rire. Mais ce ne sont que des apparences, une façon d'être. Il n'est pas comme ça du tout! Il a une personnalité extraordinaire et c'est un gars plein d'humour.»

Il faut lui tirer les vers du nez - il ne voudrait jamais être perçu comme un pleurnicheur ou une tête enflée, ce qu'il n'est pas - mais Tremblay admet mal comprendre le peu d'attention qu'il reçoit.

«Tu me le demandes, oui, ça me fâche, mais je n'ai aucun pouvoir là-dessus», dit l'athlète de 29 ans. Un peu plus tôt, il soulignait le nombre impressionnant d'événements ayant soulevé les passions durant les Jeux.

«Je ne suis pas aveugle, tout le monde reçoit beaucoup de couverture, constate-t-il cependant. Je ne dénigre personne et tout le monde mérite ses 15 minutes de gloire. Je me demande simplement pourquoi, moi, je ne les ai pas eues. Des fois, je finis par me dire: cout'donc, j'ai-tu fait quelque chose de mal?»

Après un quart de siècle dans le patin, Tremblay n'a pas dit son dernier mot. Il compte poursuivre sa carrière aussi longtemps que possible. Mais à partir de l'automne, les études seront priorisées. Il a envoyé sa demande d'inscription pour les HEC.

«Si ce n'était que de moi, je resterais un autre quatre ans, mais il faut être réaliste, dit celui que tout le monde surnomme Flou. L'université prendra de plus en plus de place dans ma vie. Je souhaite être capable de combiner les deux. Si ça dure quatre ans, ce sera tant mieux. Mais la réalité est que ce sera sûrement difficile d'être aussi performant que je le suis là en étant presque à temps plein à l'école. Je ne l'ai jamais fait, on verra ce que ça donne. Mais si je me rends compte en cours de route que ça devient impossible et que les performances ne sont pas au rendez-vous, là, au moins je pourrai partir la tête tranquille.»

Quand il aura un petit blues, il aura cinq médailles à contempler.

Les 5 plus grands médaillés canadiens

Athlète Discipline Jeux Or Argent Bronze Total

Cindy Klassen Longue piste 2002, 2006, 2010 1 2 3 6

Clara Hughes Cyclisme 1996, 2000 0 0 2

Longue piste 2002, 2006, 1020 1 1 2 6

Marc Gagnon Courte piste 1994, 1998, 2002 3 0 2 5

François-Louis Tremblay Courte piste 2002, 2006, 2010 2 2 1 5

Phil Edwards Athlétisme 1928, 1932, 1936 0 0 5 5