Vincent Marquis n'avait que 3 ans quand il a chaussé sa première paire de skis. Une vaste expérience sur les pentes, combinée à une soif de victoires et à une sainte horreur de la défaite ont forgé le caractère du bosseur québécois, qui frappe maintenant aux portes des Jeux olympiques.

Dans son best-seller Les prodiges, paru l'an dernier, l'auteur américain Malcolm Gladwell s'intéresse à ce qu'il appelle la «règle des 10 000 heures»: la clé du succès dans des domaines aussi divers que l'informatique ou le piano ne dépendrait pas tant du génie individuel que du fait de pouvoir s'entraîner à une tâche spécifique pendant 10 000 heures. Ainsi, la fortune de Bill Gates tiendrait moins à ses intuitions fulgurantes qu'à un concours de circonstances: le fondateur de Microsoft est l'un des rares Américains à avoir eu un accès quasi illimité à un terminal informatique dès la fin des années 60.

Le bosseur québécois Vincent Marquis n'a probablement pas passé 10 000 heures de sa vie sur ses planches. Après tout, il n'est pas l'homme d'un seul sport. Il a joué huit ans au football et a été le quart-arrière des Élans du Collège François-Xavier-Garneau, dans le collégial AAA. Et il a hanté les patinoires extérieures pendant des années, avant de se joindre récemment à une ligue de hockey amicale.

Mais l'histoire de cet athlète de 25 ans tend certainement à démontrer que pour réussir dans le sport, il faut commencer tôt et y mettre le temps qu'il faut.

Le médaillé de bronze du championnat du monde 2009 n'avait que 3 ans quand il a chaussé sa première paire de skis. «Mes parents avaient un chalet à Stoneham, comme plusieurs membres de notre famille, et je passais toutes mes fins de semaine là-bas», a-t-il raconté récemment au stade Saputo, en marge d'une cérémonie de remise de bourses de la Fondation de l'athlète d'excellence du Québec.

Les hivers passés à semer les patrouilleurs dans les sous-bois de la station de ski de Québec n'auraient toutefois pas suffi à mener Marquis aux portes des Jeux olympiques s'il n'avait pas aussi eu une sainte horreur de la défaite. «Je suis quelqu'un de très compétitif, peu importe ce qu'on fait, dit-il. Même avec mon équipe de hockey, je suis très combatif et je travaille fort.»

Des traits qui définissent son style sur la piste, très différent, par exemple, de celui de son partenaire d'entraînement, Pierre-Alexandre Rousseau, champion du monde en 2007. «Pierre-Alexandre a un toucher de neige vraiment doux, tandis que moi, je suis quelqu'un de rough. Avec lui, tout a l'air facile, alors que mon style est plus intense pour le corps», dit Marquis, dont le frère cadet, Philippe, fait partie de l'équipe nationale de développement.

Grand amateur de sports d'équipe, Marquis a longtemps trouvé que le ski acrobatique ne lui procurait pas le sentiment de complicité qu'il ressentait sur une patinoire ou un terrain de foot. «Au début, je trouvais difficile de ne pas avoir la même chimie en ski acrobatique, dit Marquis. Mes coéquipiers sont tous des adversaires. Si je gagne, ça veut dire que mes coéquipiers ne gagnent pas. C'est difficile de partager ses émotions, ses joies, ses peines.»

La saison 2008-2009 a toutefois changé la donne. Troisième sur le circuit de la Coupe du monde, derrière son compatriote Alexandre Bilodeau et le Français Guilbaut Colas, il a signé une victoire historique à l'épreuve de Mont Gabriel, en janvier, partageant le podium avec Bilodeau et Rousseau. Les trois mousquetaires ont remis ça trois semaines plus tard, à Are, en Suède, où Marquis a cette fois cueilli le bronze.

«Ces deux triplés ont vraiment aidé. Ils nous ont rapprochés. On a partagé des émotions et l'esprit d'équipe est excellent. C'est important», dit Marquis. Hautement encourageants dans une année préolympique, ces résultats sont aussi payants, car ils comptent dans le processus de sélection de l'équipe canadienne en vue des Jeux de Vancouver.

Mais Marquis ne peut pas s'asseoir sur ses lauriers. Contrairement à ce qui se passe en patinage de vitesse courte piste, par exemple, où l'équipe olympique est formée depuis le mois d'août, les skieurs acrobatiques canadiens devront lutter pour leur place aux Jeux jusqu'à la toute dernière minute. Les deux meilleurs résultats de chaque skieur l'an dernier comptent pour la sélection et six des sept épreuves de Coupe du monde qui auront lieu entre le 12 décembre et le 24 janvier - soit moins de trois semaines avant le début des Jeux - seront également considérées.

«Les deux approches ont du bon, dit Marquis. Avec notre méthode, on s'assure de donner une chance à tout le monde et d'avoir aux Jeux les trois ou quatre bosseurs les plus hot du moment. Et puis on n'a pas le temps d'angoisser à propos des Jeux. Le revers de la médaille, c'est qu'il est difficile pour nous d'être au sommet de notre forme lors des Jeux. Ma période de pic de performance est très large, car je dois être bon de décembre à février. Ça peut être épuisant.» C'est pourquoi il tentera d'être fixé plus rapidement en obtenant de bons résultats - podiums ou top 5 - le plus tôt possible dans la saison.

Pour compliquer les choses, le nombre de bosseurs qui iront aux Jeux demeure incertain. Le Canada peut envoyer un total de 18 athlètes dans les trois disciplines du ski acrobatique - bosses, sauts et ski cross. «En bosses, on est six ou sept à se battre pour trois ou quatre places», dit Marquis. Outre Bilodeau et Rousseau, son frère Philippe, Warren Tanner, Renaud Jacques-Dagenais et Maxime Gingras sont ses principaux rivaux.

Si Marquis se qualifie, il croit pouvoir bien se débrouiller sur la pente de Cypress Mountain, où aura lieu l'épreuve masculine, le deuxième jour des Jeux. Une montagne tout juste au nord de Vancouver, où les conditions sont pour le moins changeantes. «On fait des camps d'entraînement là-bas depuis deux ans. L'an dernier, en une semaine, on a tout vu: du brouillard, une piste molle par -5oC, de la glace à -10oC et de la pluie battante! C'est peut-être un avantage pour nous.»

À l'échelle internationale, Guilbaut Colas, l'Australien d'origine canadienne Dale Begg-Smith et les skieurs américains seront à surveiller, selon Marquis. «Les États-Unis sont toujours très forts. Les quatre Américains vont être des médaillés potentiels. En tout, on sera une douzaine à pouvoir gagner une médaille», dit-il.

Quoi qu'il arrive cet hiver, Marquis, admis au baccalauréat en physiothérapie à l'Université Laval après avoir étudié en kinésiologie, sait déjà qu'il ne sera pas aux Jeux d'hiver de Sochi, en 2014. Il s'est remis avec succès d'une grave déchirure ligamentaire au genou, en 2004, mais les petits bobos s'accumulent. «J'en suis à mes derniers pas dans le ski. Je ne me vois pas refaire un autre cycle de quatre ans. Je pourrais peut-être faire une autre année, avec moins de sacrifices. Mais j'ai fait mon bout de chemin.»

C'est vrai que 10 000 heures, ou même la moitié, c'est long longtemps.