Le maire Labeaume les veut. Le premier ministre Charest aussi. Et la neutralité de façade du président du Comité olympique canadien, Marcel Aubut, ne trompe personne. Quatorze ans après l'échec de la candidature de la ville pour les Jeux de 2002, la volonté d'organiser les Jeux olympiques d'hiver à Québec n'a jamais été aussi forte qu'en ce moment. Mais il y a un hic : certains décideurs pensent qu'à la loterie olympique, le Canada devrait plutôt miser sur Toronto et les Jeux d'été.

Y aura-t-il un jour des Jeux olympiques d'hiver à Québec? La réponse à cette question qui a fait beaucoup jaser cet automne n'est pas simple. Mais les premiers indices pourraient émerger dès la semaine prochaine.

Dans six jours, les délégués des 42 pays membres de l'Organisation des sports panaméricains se réuniront à Guadalajara, au Mexique, pour décider qui, de Lima, Bogota et Toronto, sera la ville hôtesse des Jeux Panams de 2015.

Rien à voir avec les Jeux d'hiver, dites-vous? Au contraire. Une victoire de Toronto pourrait paver la voie à une candidature olympique de la Ville reine. Toronto pourrait viser les Jeux de 2024 ou 2028, a laissé entendre le chef de la direction du Comité olympique canadien (COC), Chris Rudge, lors d'un débat public dans la capitale ontarienne, il y a deux semaines. La ville emprunterait ainsi le même cheminement que Rio de Janeiro, qui a organisé les Panams en 2007, avant d'obtenir les Jeux olympiques de 2016, au début du mois.

Rudge n'est pas le seul à envisager une troisième candidature torontoise, après les tentatives ratées d'obtenir les Jeux de 1996 et de 2008. «J'ai toujours dit que les prochains Jeux olympiques au Canada devraient être des Jeux d'été. Et si une ville peut se les permettre, c'est Toronto, dit le Montréalais Walter Sieber, vétéran du COC et fin observateur des coulisses du sport international. Il y aura une discussion assez musclée au conseil d'administration du COC pour savoir ce qu'on fait. Car il faudrait alors oublier les Jeux d'hiver.»

Il est en effet difficile, pour ne pas dire impossible, de courir deux lièvres à la fois auprès du Comité international olympique. Entre l'hiver et l'été, il faut choisir. «Au Canada, la dynamique sera toujours la même en ce qui concerne les Jeux olympiques : faut-il présenter Toronto une troisième fois ou se réessayer avec Québec?» confirme l'avocat montréalais Dick Pound, membre du CIO depuis 1978.

Récemment, tant le maire de Québec, Régis Labeaume, que le premier ministre Jean Charest ont exprimé publiquement leur désir de voir la Capitale nationale organiser les Jeux d'hiver. Le maire Labeaume a présenté le projet d'amphithéâtre de 400 millions qu'il caresse comme une condition essentielle à la réalisation de ce rêve.

Le fait que le Canada ait déjà organisé les Jeux d'hiver de 1988, à Calgary, et s'apprête à présenter ceux de Vancouver, en février, ne disqualifie pas Québec, estime M. Pound. En fait, selon lui, Québec est probablement mieux placé que Toronto, qui ferait vraisemblablement face à une concurrence plus nombreuse.

«Il y a moins de pays qui tentent d'obtenir les Jeux d'hiver que les Jeux d'été. Et puis, les changements climatiques rendent très peu fiables certains sites traditionnels en Europe. S'il y a une chose qu'on sait au sujet de Québec, à part le fait que la ville est belle à mourir, c'est qu'il y fait assez froid pour tenir des Jeux d'hiver!»

Besoin d'infrastructures

Pour Toronto, les Jeux panaméricains arriveraient à point nommé. «Au Canada, après les Jeux olympiques de Montréal, en 1976, tous les événements sportifs majeurs ont eu lieu dans l'Ouest, que ce soit les Jeux du Commonwealth (Edmonton en 1978 et Victoria en 1994), les Universiades (Edmonton, 1983) ou les Jeux panaméricains (Winnipeg, 1999)», souligne Gordon Peterson, vice-président du COC et membre du comité de candidature de Toronto.

Résultat: la métropole canadienne souffre d'un retard majeur en matière d'infrastructures sportives. «Il n'y a que deux piscines de dimensions olympiques, dont l'une n'a pas de tour de plongeon», souligne M. Peterson. Les Panams, avec les constructions qu'ils supposent, permettraient à Toronto de compenser pour son sous-investissement chronique dans le sport.

Les infrastructures neuves seraient évidemment utiles dans l'éventualité d'une candidature olympique. Mais encore faut-il que les Torontois aient envie de refaire les yeux doux au CIO, après avoir été éconduits à deux reprises. «Il pourrait y avoir des discussions, mais de la manière dont je vois les choses, les Jeux d'été pourraient être relégués à l'arrière-plan si les infrastructures sont déjà là (grâce aux Panams)», dit M. Peterson. «Je ne suis pas très chaud à l'idée de dépenser de l'argent pour une candidature perdante.»

L'atout Aubut

Québec a un atout majeur dans sa manche: l'appui du président élu du COC, Marcel Aubut, dont le mandat de quatre ans, renouvelable, court jusqu'en 2013. Publiquement, l'avocat exerce son devoir de réserve - il n'a pas voulu parler à La Presse pour cet article - et personne ne doute qu'il défendra avec vigueur la cause de Toronto à Guadalajara. Mais dans le milieu de l'olympisme canadien, tout le monde sait de quel côté son coeur loge vraiment. «Marcel est un remarquable champion de la cause de Québec, dit M. Peterson. Il avait d'ailleurs fortement appuyé Québec contre Calgary et Vancouver quand le COC a choisi la ville candidate pour les Jeux de 2010.»

Une analyse que partage Dick Pound. «Il est certain qu'Aubut aide Québec. Et puis Québec a le goût de se lancer là-dedans. Ils avaient un bon dossier la dernière fois (pour les Jeux de 2002), mais ce n'était pas le bon moment. Salt Lake City était assuré de l'emporter, même sans (corrompre des membres du CIO).»

Si Québec veut les Jeux, 2022 est sans doute la cible la plus plausible, compte tenu de la politique officieuse d'alternance continentale du CIO. Les Jeux de 2014 auront lieu dans la ville russe de Sochi et plusieurs observateurs prédisent qu'à sa troisième tentative, Pyeongchang, en Corée du Sud, obtiendra finalement l'aval du CIO pour 2018.

Le choix de la ville hôte de 2022 sera fait en 2015, l'année où les Panams auront lieu (ou pas) à Toronto. Ce qui nous ramène au vote de Guadalajara, vendredi prochain. Quel qu'il soit, le résultat aura une forte influence sur la suite des choses. Une victoire de Toronto pourrait faire monter d'un cran la fièvre olympique dans le sud de l'Ontario. Mais une défaite pourrait avoir le même effet, paradoxalement. Les Jeux olympiques deviendraient alors un genre de super-plan B, la meilleure façon pour la ville d'obtenir les infrastructures sportives qui lui font cruellement défaut.

La réplique des supporters de Québec est déjà prête, souligne Dick Pound. «Si vous n'êtes pas capables d'obtenir les Panams, qu'est-ce qui vous fait croire que vous pourrez avoir les Jeux olympiques?»

----- QUÉBEC, JEUX D'HIVER

(+) Moins de candidatures rivales que pour les Jeux d'été

(+) Coût moindre que celui des Jeux d'été Climat favorable

(+) Forte compétitivité sportive du Canada

(-) Montagne trop basse pour la descente masculine

(-) Plusieurs infrastructures à bâtir (anneau de glace, aréna, tremplin de saut à ski, pistes de bobsleigh/luge/skeleton, etc.)

(-) Le Canada a déjà organisé deux fois les Jeux d'hiver en 22 ans (1988 et 2010)

----- TORONTO, JEUX D'ÉTÉ

(+) Au coeur du lucratif marché nord-américain de la télé et des commandites

(+) Le Canada n'a pas tenu les Jeux d'été depuis 1976

(+) Permettrait de combler le manque d'infrastructures sportives de la ville

(-) Toronto a déjà raté son coup deux fois (1996 et 2008)

(-) Forte compétition internationale pour les Jeux d'été

(-) Énormité des coûts

----- JEUX D'HIVER OU JEUX D'ÉTÉ? LE POINT DE VUE DE DOMINICK GAUTHIER

«Le Canada devrait se concentrer sur ce en quoi il excelle, les Jeux d'hiver», dit Dominick Gauthier, entraîneur de ski acrobatique. «Notre pays, c'est l'hiver!»

«Les Jeux d'été sont rendus tellement gros. Même les Jeux d'hiver approchent de la limite de la viabilité. Des petites villes comme Lillehammer, qui a pourtant organisé les plus beaux Jeux de l'histoire en 1994, ne peuvent plus se permettre des Jeux olympiques.»

La compétitivité sportive du Canada devrait aussi être prise en compte, croit-il. «C'est rassembleur quand on se bat pour être premier, comme on le fait aux Jeux d'hiver. En été, on va se battre pour quoi ? Un top 10?»