Joannie Rochette avait un an lorsque Elizabeth Manley a enlevé la médaille d'argent aux Jeux olympiques de Calgary et aux Championnats du monde de Budapest, en 1988. Depuis, aucune Canadienne n'a réussi à monter sur le podium en solo, pas plus aux Jeux qu'aux Mondiaux. Une séquence que pourrait briser Joannie Rochette cette semaine à Los Angeles aux Championnats du monde.

«Pourquoi pas moi?» Joannie Rochette se pose la question à haute voix dans son auto en conduisant entre l'aréna de Saint-Léonard et son appartement du Plateau-Mont-Royal. Elle s'excuse de rappeler un peu tard parce que la session d'assouplissement s'est étirée après son entraînement sur glace. Comme d'habitude, son horaire est chargé, ce dont elle s'accommode parfaitement.

 À moins d'une semaine de son départ pour Los Angeles, où, à partir de jeudi, elle participera aux Championnats du monde de patinage artistique, une seule chose la chicote: son passage à L'antichambre, l'émission de fin de soirée de RDS. «J'espère qu'ils ne me poseront pas trop de questions sur le hockey...» lâche-t-elle, sincèrement préoccupée.

Rochette est bien loin des états d'âme de Carbo ou des pirouettes de Kovalev. Elle pense plutôt aux Mondiaux de L.A., ses septièmes chez les seniors.

Rochette n'a pas besoin de se le faire rappeler: aucune patineuse canadienne n'a remporté de médaille aux Mondiaux depuis celle d'argent d'Elizabeth Manley, à Budapest, en 1988. Ces deux décennies ont été marquées par le long règne de Jennifer Robinson et les deux cinquièmes places de Josée Chouinard, en 1992 et 1994. Rochette est loin de s'en faire avec cette disette. Au contraire, elle y voit plutôt une belle occasion.

«On en est toutes un peu conscientes, mais on n'y pense pas à tous les jours à l'entraînement, relève la patineuse de 23 ans. Pour moi, la médaille reste un but personnel. En même temps, ce serait le fun parce que ça fait longtemps. C'est un bon défi. Quand tu te fais dire ça, tu te dis: ah bien, pourquoi pas moi? «

De son propre aveu, Rochette n'était pas destinée aux plus grands honneurs. «Quand j'ai commencé sur la scène internationale, personne ne s'en faisait accroire, personne ne pensait que je serais sur un podium mondial un jour», rappelle-t-elle.

À l'âge de 15 ans, Rochette traînait un énorme défaut technique. Invisible à l'oeil du profane, mais qui n'échappe pas à la loupe des juges. Au lieu d'amorcer le triple Lutz sur la carre extérieure, elle s'élançait sur la carre intérieure, comme pour le flip. Dans le jargon, on appelle cette erreur un «flutz». Au plus haut niveau, ça ne pardonne pas.

Les meilleures de la discipline, comme son modèle, l'Américaine Michelle Kwan, ou la championne du monde, la Japonaise Mao Asada, enfilent les triples Lutz depuis la préadolescence, rappelle Rochette.

Elle avait le choix: continuer avec quatre triples sauts adéquats sur cinq, ce qui aurait été suffisant pour maintenir sa place dans l'équipe nationale. Ou retourner à la planche à dessin, avec toute l'incertitude que cela comportait. «Normalement, c'est quelque chose qui ne se corrige pas, explique-t-elle. Je faisais ça depuis presque 16 ans. C'était rendu acquis. C'est comme réapprendre à marcher.»

La patineuse de l'île Dupas en a bavé un coup. Et ses fesses ont souvent accusé le coup. Elle a mis deux longues années avant de se défaire de sa mauvaise habitude.

«Je te le dis, j'en faisais des cauchemars, insiste-t-elle. Ça me hantait. À l'école, j'étais assise sur ma chaise devant un problème de math et je répétais les mouvements techniques dans ma tête pour essayer de le corriger.»

À force d'acharnement, elle y est parvenue. À ses premiers championnats du monde seniors, à Washington, en 2003, Rochette a réussi le triple Lutz dans son programme court, mais a chuté dans le programme libre. Elle s'est classée 17e. «C'était quand même pas pire pour quelqu'un qui ne fait pas tous ses triples», note-t-elle.

Sa progression a été constante, avec cinq titres nationaux consécutifs et une cinquième place aux derniers Jeux olympiques de Turin, en 2006. «Aujourd'hui, je peux dire que mes sauts sont une de mes forces», dit-elle.

Cette saison, Rochette s'est davantage consacrée à l'amélioration de son expression artistique. À l'automne, elle a signé deux victoires sur le circuit Grand Prix, à Ottawa et à Paris, où elle a battu Asada. Ennuyée par un mal de dos, elle a connu une première déconvenue au programme court de la finale du Grand Prix, en Corée, en décembre. «Ça l'a un peu ébranlée dans sa tête, mais elle est revenue en force pour le programme long», souligne son entraîneuse, Manon Perron. Elle a fini au pied du podium derrière celles qui s'annoncent comme ses principales rivales à Los Angeles, Asada, la sensation coréenne Yu-Na Kim et l'Italienne Carolina Kostner.

Rochette a rebondi en février avec une deuxième place aux Championnats des Quatre continents sur la glace olympique de Vancouver. Plus mature, plus confiante, elle s'autorise enfin des visées de médaille à Los Angeles, «peu importe la couleur». Si tout va bien, cela lui servira de rampe de lancement septentrionale vers l'objectif ultime, un podium olympique à Vancouver, en février 2010.

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Quatre rivales vues par Joannie Rochette


On a demandé à Joannie Rochette de désigner quelques rivales importantes aux prochains Championnats du monde de Los Angeles, qui se dérouleront de demain à dimanche. Elle s'est concentrée sur la nouvelle vague asiatique et sa compatriote Cynthia Phaneuf, qui revient aux Mondiaux après sa première participation à Moscou, en 2005.

MAO ASADA, JAPON, 18 ANS

Première aux Mondiaux de 2008: «C'est une patineuse très complète. Elle est une des seules femmes au monde à maîtriser le triple Axel. La plupart du temps, ce sont des hommes qui font ce saut. Chez les femmes, il y a eu Midori Ito et Tonya Harding. On peut les compter sur les doigts d'une seule main.»

YU-NA KIM, CORÉE, 18 ANS

Troisième aux Mondiaux de 2008: «Sa force, c'est la façon dont elle amorce ses sauts. Elle a beaucoup d'attaque et elle est quand même rapide. Elle est explosive, elle réagit super vite, tandis que Mao est plus fluide.»

CAROLINA KOSTNER, ITALIE, 22 ANS

Deuxième aux Mondiaux de 2008: «Très grande. Son principal atout est sa vitesse. Quand elle se prépare à faire ses sauts, les gens dans les gradins ont peur tellement elle va vite. C'est impressionnant.»

CYNTHIA PHANEUF, CANADA, 21 ANS

Elle n'a pas participé aux Mondiaux de 2008: «Cynthia est vraiment une artiste. On la reconnaît pour le côté artistique de sa performance. C'est ce que j'aime d'elle. Elle est très expressive quand elle patine.»