«Ça fait six ans que je ne dis rien, que je suis tanné. On ne s'en va nulle part et on dirait que personne ne réagit. Je trouve ça tellement triste.»

Marc Gagnon, le plus grand médaillé masculin de l'histoire olympique canadienne, sait qu'il ne se fera pas d'amis en critiquant son ancien milieu. Analyste à la télé aux derniers Jeux olympiques de Turin, il avait préféré jouer la carte de la diplomatie. Mais là, il en a marre. Les résultats de l'équipe canadienne aux récents Mondiaux de Vienne ne l'ont pas impressionné. Et il a décidé de parler, sollicitant un entretien avec La Presse, dimanche.  

«À un moment donné, tu te fatigues de dire que ça va bien, que le monde fait un bon travail. Sincèrement, j'ai frappé un mur cette année et j'ai fait: 'je suis écoeuré'», a expliqué Gagnon, retraité depuis son triomphe aux Jeux olympiques de Salt Lake City, en 2002. «Avec le talent qu'il y a dans l'équipe présentement, hommes et femmes, ça ne se peut pas qu'on ait seulement gagné ça en six ans. C'est un gaspillage de talent. On ne progresse pas, on régresse.»

Aux derniers Mondiaux, qui se sont conclus dimanche, le Canada a récolté cinq médailles, dont quatre dans des épreuves olympiques. Les dirigeants de l'équipe visaient six médailles, soit le même objectif qu'aux Jeux olympiques de Vancouver.

Au plan individuel, seul le 500 mètres a souri aux patineurs canadiens, avec la médaille d'or de Charles Hamelin et le bronze d'Olivier Jean et de Jessica Gregg.

Gagnon s'interroge sur l'absence de Canadiens lors des finales du 1000 et du 1500 m. «On a été bons. On a été bons au 500 mètres, qui était la distance de prédilection de l'entraîneur-chef, a-t-il ironisé en faisant référence à Derrick Campbell, un ancien coéquipier. C'est à peu près la seule course dans laquelle il était bon. C'est plate à dire, mais c'est comme ça.»

Manque de motivation

Sans mettre en cause l'engagement des athlètes et entraîneurs, Gagnon remarque l'absence d'une étincelle qui forcerait tout le monde à puiser dans ses dernières réserves à l'entraînement. «Selon les commentaires que j'ai eus, il y a un manque de motivation dans l'équipe nationale, a soutenu le quintuple médaillé olympique. On a une équipe amorphe qui patine pour patiner.»

En l'absence de «tête forte» sur la glace, Gagnon ne croit pas que l'équipe d'entraîneurs ait le profil pour prodiguer ce sursaut de motivation. «Ils font faire les tours et ils crient les temps au tour, a-t-il affirmé. Ça se résume à peu près à ça. Cela dit, ça ne veut pas dire pour autant que le programme d'entraînement n'est pas correct. Je ne peux pas le juger.»

Gagnon comprend que le grand public soit impressionné par les nombreux podiums obtenus par les Canadiens sur la scène internationale. Or, à ses yeux, la nouvelle formule de compétition sur le circuit de la Coupe du monde constitue un leurre. Chaque patineur est maintenant limité à deux distances individuelles sur une possibilité de quatre. Certaines épreuves sont donc moins relevées.

Les résultats à Vienne, où les meilleurs se mesuraient sur toutes les distances, sont plus évocateurs aux yeux de Gagnon. «Avec le talent qu'il y a dans cette équipe, tu ne peux pas avoir juste ce qu'on vient de récolter aux Championnats du monde, a estimé l'ancien patineur, aujourd'hui âgé de 33 ans. Tu ne peux pas. C'est impensable. C'est comme si tu montais une équipe d'étoiles et qu'ils ne comptaient qu'un seul but dans le match. Ça n'a pas de bon sens.»

Aux Jeux de Salt Lake City, en 2002, l'équipe canadienne avait décroché six médailles. Quatre ans plus tard, à Turin, ce total est passé à quatre, avec seulement deux podiums individuels. Gagnon avait été choqué de voir des dirigeants sabler le champagne en Italie après les trois médailles salvatrices remportées lors de la toute dernière soirée de compétition.

Ce recul avait néanmoins provoqué le départ de l'entraîneur Guy Thibault, qui a accepté une offre de l'équipe américaine. Dans le remaniement qui a suivi, Gagnon a été invité à soumettre sa candidature pour le poste de quatrième entraîneur. On lui a préféré le Coréen Jae Su Chun. Gagnon y a perçu une volonté de trouver un «remède miracle» à la domination des patineurs coréens sur la scène internationale. «Les Coréens, ce n'est pas compliqué, ils s'entraînent plus et mieux que nous!» a-t-il soutenu.

Gagnon est conscient qu'il passera pour celui qui crache dans la soupe parce qu'il n'a pas décroché le poste. Il jure que ce n'est pas le cas. Il déplore d'ailleurs que l'équipe canadienne ait laissé partir Chun après seulement un an. Ce dernier a accepté une offre de Guy Thibault aux États-Unis.

«Oui, Chun était dur, il n'avait pas la même mentalité que nous et il était un peu trop extrême, a soutenu Gagnon. Mais non seulement ils n'ont pas accepté l'extrême où il était, mais ils n'ont pas accepté son apport tout court. C'est pour ça qu'il a quitté son poste.»

Aux yeux de Gagnon, si rien ne change, le sort de l'équipe canadienne de patinage de vitesse courte piste ne s'améliora pas aux Jeux de Vancouver. «C'était sûrement un des trois sports dans lesquels le Canada dominait dans le monde. J'aimerais qu'on continue d'être bons comme on l'a été pendant 25 ans. Ce n'est plus le cas. Je trouve ça tellement triste.»