Le régime chinois, si friand de premières positions et de superlatifs, peut ajouter un exploit à sa longue liste: celui d'avoir organisé des Jeux olympiques réussis, parfois même grandioses, tout en tuant l'esprit de la fête.

Qu'on ne s'y trompe pas. Pékin n'a pas invité le monde à ses Jeux. La Chine a plutôt utilisé les JO pour présenter à la planète une image qu'elle voulait parfaite. Le résultat a été une ville trop chorégraphiée où le plaisir a été absent des rues.

Prenez la rue Qianmen, au sud de la place Tiananmen, hier midi. Une rue qu'on vient de rénover, où les façades «anciennes» n'ont que quelques semaines. Tellement neuves qu'à peine une poignée de commerçants ont eu le temps d'y ouvrir leur boutique.

Hier midi, donc, la rue était bondée. Les gens apprécient le décor, trouvent ça beau et puis... Et puis ils s'en vont. Ils ne se rendent pas au bout. Ils bifurquent dans une rue perpendiculaire, la Dashilan, beaucoup moins clinquante mais plus animée: les commerces sont ouverts, les gens discutent, vont manger, marchandent un dernier cadeau à rapporter dans leur province.

Les Jeux de Pékin ont été des jeux de la rue Qianmen, avec des stades tout neufs, des arbres et des fleurs en quantité, un village olympique qui ressemble à une station de villégiature et des métros à l'avenant. Mais ce n'est pas ce qui donne une âme à un rassemblement.

Dans l'organisation des Jeux, on a oublié la rue Dashilan, celle de la vraie vie, celle de la Chine qui fait encore bric-à-brac par moments mais qu'on prend plaisir à découvrir.

Tout ça a commencé à être évident quand Pékin, voulant garder des «forces hostiles» à l'extérieur, s'est mis à resserrer les conditions de délivrance de visas. Belle façon de souhaiter la bienvenue aux étrangers!

Dans son soucis maniaque de «propreté», on a «nettoyé» la ville de tous les indésirables: prostitués, travailleurs migrants, marchands itinérants qui ont l'habitude d'animer les coins de rue en y vendant leurs fruits. Même les étudiants venus des autres provinces ont dû rentrer voir papa-maman. Les manifestants, on n'y pense même pas.

Pour le reste, à partir du moment où la flamme olympique est entrée en ville, presque tout a été chorégraphié. On pouvait s'attendre à ce que le pouvoir choisisse ses fidèles supporters pour venir chanter au passage de la flamme dans des provinces comme le Tibet ou le Xinjiang, où les Ouïghours sont venus bien près de gâcher la fête. Mais était-ce nécessaire d'appliquer la même recette à Pékin, la capitale?

Et puis, il y a eu la cérémonie d'ouverture, celle où on a montré au monde entier un ciel de Pékin généré par ordinateur et une fausse chanteuse qui avait l'avantage d'être plus mignonne que la vraie. Les médias du monde entier en ont fait leurs choux gras. Pourtant, il y avait un truc tout aussi dérangeant ce soir-là.

Dans une ville qui se targue d'avoir la plus grande place publique au monde, Tiananmen, aucun écran de télé n'y retransmettait la cérémonie. Les Pékinois qui, d'instinct, s'y étaient présentés en fin d'après-midi, ont donc dû se rabattre sur des parcs trop petits.

Idem pendant la durée des Jeux. Personne n'a demandé que la place soit transformée en immense piste de danse ou en grand salon de karaoké. Mais il aurait dû y avoir quelque chose, quelque part, où les Chinois auraient pu échanger avec les étrangers. Deux mots de mandarin, quatre mots d'anglais, deux bières et on peut passer une bonne demi-heure.

Mais non. Hors du stade, rien. Pas de lieu où l'échange a été encouragé.

Quelques semaines avant les Jeux, des médias occidentaux ont trouvé une expression pour décrire ce qu'ils appréhendaient: des No-Fun Games. Hypersensible aux critiques, le pouvoir a délégué des «volontaires» dans les gradins pour qu'ils fassent du bruit. Malgré leur présence, la foule était souvent clairsemée et calme dans les stades où les Chinois n'étaient pas en compétition.

Certains ont dit que ces Jeux seraient ennuyeux parce que les Chinois n'ont pas le même sens de la fête que nous. Que c'est une question culturelle. Peut-être...

Mais disons que les organisateurs ne leur ont pas non plus donné la chance de célébrer collectivement. Ils ont préféré troquer l'esprit de la fête contre l'assurance qu'il n'y aurait pas de débordement.

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Ceci est ma dernière chronique. Je rentre bientôt à Montréal après ces cinq mois extraordinaires à Pékin. Merci aux Chinois qui ont accepté de prendre un thé avec moi pour partager leurs expériences, et à vous qui avez lu leurs histoires. À la prochaine ou, comme on dit ici, zai jian!