À défaut d'être dans une voiture de la caravane, notre journaliste Simon Drouin avait scotché une liste des numéros des coureurs du Tour de France sur sa table de salon à Rosemont. Même devant l'écran de télé, le spectacle a été à couper le souffle. Le mano a mano entre Contador et Schleck rappelait à certains égards le Tour de 2003, alors que Jan Ullrich avait menacé la suprématie de Lance Armstrong. Avant de décoller sa feuille des partants, il nous propose son bilan de ce 97e Tour.

Le héros du Tour

Andy Schleck. Il a exprimé une colère légitime après l'incident de la chaîne. Mais dès le lendemain, il est revenu à de meilleurs sentiments envers Alberto Contador, ce que certains, dont Laurent Fignon, lui ont reproché. Puis, il est passé à l'attaque dans le col du Tourmalet, moment marquant du Tour. Encore mieux, même si personne ne lui prêtait la moindre chance, le Luxembourgeois ne s'est jamais avoué vaincu, passant près de réaliser l'impensable lors du contre-la-montre. Ironie du destin, Schleck a perdu par 39 secondes, exactement le temps que lui a coûté son saut de chaîne dans le port de Balès. Doit-on conclure qu'il a perdu le Tour ce jour-là? Absolument pas. Contador aurait sans doute géré la course d'une autre façon si l'écart avait été différent. On ne saura jamais. Ce qu'on sait, toutefois, c'est que Schleck est un grand champion et qu'il gagnera un jour le Tour de France.

Le bluffeur du Tour

Alberto Contador. Les experts ne se trompaient pas: l'Espagnol était bel et bien moins fort que l'an dernier. Allergies, «coup de froid» après son championnat national et maux d'estomac avant le dernier contre-la-montre l'ont sérieusement effrayé. Mais il a bien joué ses cartes, camouflant sa souffrance lorsque la situation le commandait. «Je ne dirai pas à quels moment j'ai rencontré des difficultés terribles et connu mes pires moments de doutes. Car je sais que c'est en ne laissant rien paraître et en bluffant que j'ai gagné ce Tour», a déclaré Contador à l'issue du contre-la-montre à Pauillac. C'est Andy Schleck qui a dû rager en prenant connaissance de ces propos.

La prédiction du Tour

Je me suis cassé les dents souvent, mais pas sur celle-là. Dans ma présentation du 3 juillet, je suggérais Ryder Hesjedal comme vedette émergente de ce 97e Tour de France. Le Canadien de 29 ans a plus que profité de l'abandon de son leader Christian Vande Velde, se classant septième, le deuxième résultat canadien de l'histoire après le quatrième rang de Steve Bauer en 1988. Le cycliste de Victoria a tout juste raté la victoire d'étape sur les pavés, a été à l'attaque lors de l'étape de Mende et a constamment progressé en haute montagne, bondissant même jusqu'au quatrième rang au Tourmalet. Hesjedal sera à son avantage aux étapes ProTour de septembre au Québec et aux classiques du printemps prochain. Maintenant, jusqu'où peut-il aller au Tour?

La belle victoire du Tour

Celle de Christophe Riblon à Ax-3 Domaines. Dernier rescapé d'une échappée au long cours, dont les 30 derniers kilomètres en solo, le Parisien a su résister au retour des ténors dans l'ascension finale. Ému devant les caméras, il raconte sa joie de gagner un dimanche avec parents et amis qui le regardaient à la télé. La veille, le moral de Riblon était pourtant au plus bas. Son manager Vincent Lavenu l'avait requinqué: «Dans le Tour, on ne lâche rien...» Mention aussi pour le super offensif Sylvain Chavanel et ses deux victoires d'étape accompagnées d'un maillot jaune.

Le vieux du Tour

Non, ce n'est pas Lance Armstrong. Dans la débâcle relative de RadioShack, qui a dû se satisfaire du titre par équipe, un vieux a brillé: Chris Horner, 38 ans. À son quatrième Tour, l'Américain a signé son meilleur résultat à vie, 10e à la faveur d'une solide dernière ascension du Tourmalet. Après avoir dominé le circuit nord-américain au début de la décennie, Horner, bon sur tous les terrains, a servi d'équipier de luxe à Cadel Evans, Alberto Contador, Levi Leipheimer et Armstrong. Forcément, on se demande quelle aurait sa véritable valeur à titre de leader d'une équipe. Chaque soir, on attendait les chroniques qu'il signait dans The Oregonian, journal de sa région. Dans un style simple, il offrait un point de vue éclairant sur le déroulement de ses ascensions, détaillant ce que les caméras ne pouvaient capter. Il paraît que Bjarne Riis se serait déjà assuré ses services pour sa nouvelle équipe. Mention spéciale à Christophe Moreau qui, pour son 15e et dernier Tour à 39 ans, a fini deuxième au classement de la montagne.

Le Tour du vieux

Lance Armstrong aurait pu s'éclipser par une porte dérobée, il a choisi d'assumer son déclin jusqu'au bout. Un Tour de trop? Finir 23e à 39 minutes, même en levant le pied dans la plupart des étapes de montagne, il faut quand même le faire. Personnellement, je ne déteste pas voir un champion finir par être surpassé. Un seul regret: qu'Armstrong n'ait pas été éliminé à la régulière, mais plutôt sur une chute précédant la première montée d'importance. «Famille, plage et bière», a-t-il dit au sujet de son avenir immédiat, qu'il annonce «très privé». Mais Floyd Landis l'attend au tournant, et Armstrong pourrait vivre un déclin beaucoup plus douloureux devant un grand jury. Ses nombreux détracteurs en bavent déjà.

L'étape coup de coeur du Tour

Celle des pavés. Un suspense à couper au couteau, un Canadien en tête, des chutes, un grand champion en danger, des poursuites effrénées et une victoire rédemptrice de Thor Hushovd... Du bonbon! Le directeur Christian Prudhomme a promis que le Tour n'attendrait pas six autres années pour revisiter les pavés.

L'observation du Tour

Sur Twitter, Jonathan Vaughters, directeur sportif de Garmin-Transitions, a suggéré la lecture d'un article, feignant l'espoir que cette «information encourageante» fasse la manchette. Il s'agissait d'un article très technique, appuyé sur les données des capteurs de puissance de certains coureurs après la montée du Tourmalet. Analyse de l'auteur: les montées et le Tour en général étaient de 5 à 10% moins rapides, bien que les données limitées ne permettent pas de généralisation sur le plan scientifique. Les 170 finissants à Paris sur 198 partants, en dépit des innombrables chutes, tendent à accréditer cette théorie. Hypothèse de l'auteur: des contrôles antidopage plus stricts, le passeport biologique et la grande attention accordée au cyclisme ont contribué à ce phénomène.

La déception du Tour

Team Sky. Une belle, grosse et rutilante Bentley, avec Bradley Wiggins au volant, mais qui a rapidement manqué d'essence.

Le sprinter du Tour

Mark Cavendish et ses cinq étapes, dont Bordeaux et les Champs-Élysées. C'était bien de voir ce fendant se dépatouiller dans l'adversité, avec sa chute à Bruxelles et la perte de son lanceur Mark Renshaw. Malgré 15 victoires d'étape en carrière, il n'a toujours pas le maillot vert. Ça lui fera un objectif pour 2011.

La blague du Tour

Celle de Nicolas Roche, très remonté contre son coéquipier français John Gadret, qui a refusé de lui donner sa roue quand il a crevé dans la montée du port de Balès. Le lendemain, sa chronique dans le quotidien <i>Irish Independant</i> commençait ainsi: «Si John Gadret est retrouvé mort dans sa chambre d'hôtel ce matin, je serai probablement le principal suspect.» Mais était-ce seulement une blague?