Juerg Feldmann se souvient clairement de sa première rencontre avec Ryder Hesjedal. Le jeune homme avait 13 ou 14 ans et commençait à peine en vélo de montagne. Si devenir coureur professionnel est ton rêve, tu devras être patient, l'avait averti Feldmann. Devenir champion junior n'a aucune importance. Dans un sport d'endurance, ton apogée, tu ne l'atteindras pas avant 28 ou 29 ans.

«Il avait souri et m'avait dit: «Eh bien, c'est mon but!»» raconte Feldmann, joint à Quesnel, un village à six heures au nord de Vancouver. Feldmann est un physiologiste de l'exercice et un physiothérapeute formé à l'Université de Berne. Ancien membre de l'équipe suisse de patinage de vitesse, il a agi comme entraîneur d'athlétisme aux Jeux olympiques de Los Angeles et de combiné nordique aux Jeux de Calgary.

Il n'ose pas se considérer comme l'entraîneur de Hesjedal, qui cartonne au Tour de France à l'âge de... 29 ans. Il se voit plutôt comme un ami, un partenaire, qui offre des conseils. «J'abuse de son cerveau pour savoir si mes nouvelles idées folles en physiologie de l'exercice peuvent aider un athlète ou pas. Ce n'est pas du travail», dit-t-il.

En Hesjedal, il a trouvé un parfait cobaye. Même s'il a pratiquement tout gagné en gravissant les échelons, il n'entreprenait jamais une course avec cette seule intention, souligne Feldmann. L'idée était de faire des essais et des erreurs avec le seul but de s'améliorer à long terme. Feldmann se souvient d'un championnat provincial junior où il avait fait faire à Hesjedal des tests d'effort maximal de 45 minutes... avant et après la course. «Les entraîneurs nous auraient tués s'ils nous avaient vus faire!»

Une approche singulière

Difficile de résumer l'approche de Feldmann. Pour simplifier, il compare le corps humain à un équipage d'aviron. Au bout d'une course, les trois rameurs les plus forts ont été ralentis par le plus faible. Ce dernier faiblit davantage parce qu'il surpasse ses capacités. Les plus forts régressent parce qu'ils ne poussent pas suffisamment.

«C'est la même chose pour le corps humain, dit-il. On doit savoir quel membre de l'équipe - le coeur, les poumons, le cerveau, les muscles - a besoin de l'oxygène et à quel point il peut bien l'utiliser.» Avec un collègue, M. Feldmann a mis au point une série d'instruments pour mesurer l'état de chaque «membre» et améliorer celui qui limite la performance optimale du corps. Le physiologiste n'est pas intéressé par la capacité maximale, mais plutôt par la variation des paramètres qui servent de marqueurs biologiques (fréquence cardiaque, niveau d'acide lactique dans les muscles, consommation d'oxygène par les poumons, etc.).

L'important, selon le scientifique, est de ne pas hypothéquer et risquer de «tuer» le système le plus faible, à court comme à long terme.

Voilà pourquoi Feldmann n'a pas été surpris quand Hesjedal a choisi d'adopter son propre rythme quand la bataille s'est déclenchée à quelques kilomètres de l'arrivée à Morzine-Avoriaz, dimanche dernier: «C'est la différence entre un athlète «pensant», comme Ryder, et un athlète «travaillant», comme Cadel Evans, qui s'est accroché à sa vie pour suivre les meilleurs. Avec le résultat qu'il s'est complètement écroulé le jour d'après.»