Comme prévu, on ne s'ennuie pas en ce début de Tour de France. Sauf que ça n'a rien à voir avec l'ingéniosité - ou le machiavélisme - des concepteurs du parcours. Les grands vents du nord ou les côtes de Liège-Bastogne-Liège n'ont rien provoqué ou si peu. Il fallait plutôt compter sur un chien fou et son stupide maître, l'impétuosité des coureurs à Bruxelles et le pavé huileux et trempé dans une descente près de Spa.

Hier, les coureurs ont décidé que c'en était assez.

Sous le commandement du maillot jaune Fabian Cancellara, et avec l'accord tacite des autres ténors, la course a été neutralisée dans les 25 derniers kilomètres. Le temps entre autres qu'Andy et Frank Schleck puissent rentrer au bercail, non sans éraflures et ecchymoses.

Quatre minutes après Sylvain Chavanel, les coureurs ont traversé la ligne en rang, presque main dans la main. Un collègue au bureau, généralement pas très porté sur le «bécyk à pédales», en fut presque ému.

Alors, acte de solidarité exemplaire? Ou plate annihilation de tout spectacle et de tout suspense? Un peu des deux.

Une règle d'or veut qu'on n'attaque jamais un adversaire qui fait une crevaison, qui se ravitaille ou qui arrête pour se soulager. Ou qui est victime d'une circonstance exceptionnelle. Comme un boxeur ne frappe pas un rival qui a un genou au sol.

Vous vous souvenez, en 2003, quand Lance Armstrong a culbuté après s'être accroché dans la ganse d'un sac d'un spectateur? Jan Ullrich l'avait attendu.

Or, la chute collective d'hier avait tout d'exceptionnel. La moitié du peloton s'est retrouvée au sol. Certains, dont Andy Schleck, sont même tombés deux fois en quelques centaines de mètres. Une véritable patinoire, sans doute créée par l'eau mélangée à du gazole.

Dans les circonstances, il était tout naturel pour Cancellera de temporiser même s'il perdait son maillot jaune. Après tout, son travail est d'être au service des Schleck. Les RadioShack d'Armstrong ont logiquement affiché la même solidarité à leur retour dans le peloton.

Jusque-là, ça va. Mais à partir du moment où l'essentiel des troupes s'est regroupé, que tout le monde a eu le temps de se secouer les puces, la bagarre aurait dû reprendre pour la deuxième place et les points du maillot vert. Le scénario était bien différent, mais Armstrong n'avait pas mis de temps à attaquer Ullrich après son retour dans la montée de Luz Ardiden.

On comprend Thor Hushovd d'être fâché. Ses coéquipiers de Cervélo ont assumé le travail de chasse une bonne partie de la journée. Les voilà muselés quand vient le temps de dégainer. Et le Norvégien voit filer une précieuse occasion d'engranger des points.

Comme toujours, les patrons, ce sont les coureurs. La poignée de mains entre Cancellera et le directeur de course Jean-François Pescheux, à quelques centaines de mètres de l'arrivée à Spa, est là pour en témoigner.

Et comme toujours, ce sont les coureurs qui ont eu le dernier mot. En concevant une étape «trop dangereuse», les organisateurs «ont eu ce qu'ils méritaient», a tranché le vétéran américain Chris Horner en entrevue au site cyclingnews.

Admettons-le, il est bien facile de juger dans le confort de son salon. Mais ce n'est toujours bien pas un émissaire de M. Pescheux qui est allé épandre de l'huile durant la nuit dans la descente du col de Stockeu.

Au moins, l'étape a couronné un «vrai» et beau vainqueur. Chavanel aura maintenant beau jeu de défendre son maillot jaune au moins jusqu'à dimanche.

AUJOURD'HUI: troisième étape, Wanze-Arenberg-Porte du Hainault, 213 km. Dire que c'est LA grande étape crainte par tous en ce début de Tour fiévreux. Avec quatre secteurs pavés de Paris-Roubaix dans les 30 derniers kilomètres. À en juger par ce qui s'est passé depuis deux jours, ce sera un massacre. La bagarre pour le positionnement à l'entrée des secteurs promet d'être encore plus intense que sur les pavés eux-mêmes. Ce ne serait que justice que Hushovd l'emporte.

LE TWEET DU JOUR: Simon Gerrans: «J'ai eu une journée difficile au bureau. Il va sans dire qu'à l'instar de la majorité du peloton, j'ai moins de peau qu'au début de la journée.»