Y a-t-il un plus grand défi pour un joueur de tennis que d'affronter un numéro un mondial? N'en déplaise à Novak Djokovic, oui: en affronter deux d'un coup, comme l'a constaté cette semaine le représentant de La Presse, joueur de tennis à ses heures.

Monarques du double, les jumeaux Mike et Bob Bryan ont gagné 11 titres du Grand Chelem, 73 tournois, 700 matchs et trois Coupes Rogers au cours de leur carrière. Des chiffres avec lesquels seul Roger Federer peut rivaliser.

Comme la météo se fait menaçante, le massacre appréhendé ne sera pas public, mais plutôt sur l'unique court intérieur du stade Uniprix durant la Coupe Rogers, aménagé dans le vestiaire pour permettre aux joueurs de s'échauffer en cas de pluie.

Comme à la boxe, le négligé arrive le premier dans l'arène, où le jeune Bernard Tomic, quart de finaliste à Wimbledon, fait des heures supplémentaires après sa défaite contre Jo-Wilfried Tsonga.

Puis, c'est au tour des deux favoris. Ma première impression? Ils font bien chacun de leurs 6 pieds 3 pouces. Le début de l'échauffement est catastrophique, mais les excuses ne manquent pas. Ils viennent de passer deux heures sur le terrain, tandis que je suis à froid. Le terrain est mal éclairé (O.K., c'est la même chose des deux côtés). Le cadre de ma raquette est plus sollicité durant les cinq minutes du réchauffement qu'au cours du dernier mois. Un peu à cause de ma nervosité, mais beaucoup à cause de la profondeur et de la lourdeur de leurs balles.

Après quelques minutes, l'instinct de survie tennistique revient. Raccourcir l'élan. Garder les choses simples. Ne pas tenter trop vite le coup en parallèle. Tradition oblige, je réchauffe mes volées et leur propose d'en faire autant. Ils obtempèrent, un peu étonnés. Après tout, ils ont gagné 11 tournois du Grand Chelem avec leur touche à la volée...

Au moins, mon service est au rendez-vous. J'en aurai besoin contre les deux numéros un au monde, qui, clémence oblige, s'exécuteront à tour de rôle dans un bris d'égalité. Premier jumeau envoyé dans la mêlée, Bob range sa première balle de service. Sa deuxième aussi. Sur le premier point, il m'envoie une bonne première de club que je suis incapable de retourner. Maudit serveur gaucher!

Après quelques points, les échanges s'intensifient, mais Bob Bryan est impossible à déstabiliser sur le court. Chaque fois que j'augmente la cadence, la balle revient plus lourde et plus profonde, si bien que c'est rapidement 6-0. Réflexion personnelle: c'est toujours aussi humiliant de se faire blanchir au tennis, même par un numéro un mondial.

«Beau revers»

Il ne reste qu'une solution: m'en remettre à mon revers en parallèle qui, à une certaine époque, faisait frémir toute la communauté tennistique de mon Gatineau natal. Impuissant, Bob Bryan regarde passer le coup gagnant directement sur la ligne. Son frère Mike, assis dans un coin du terrain, saute de joie.

Ma confiance retrouvée, j'amorce le prochain point en m'amenant au filet sur un coup droit décroisé, mais ma volée atterrit un pouce à l'extérieur. Le clan Tomic pousse un soupir de déception. Je méritais le point, mais c'est le tennis.

«Beau revers tantôt. T'as joué à l'université?», me demande Bob (à moins que ce soit Mike - pas facile de les différencier sans leur raquette). Outre notre passion du jeu, le tennis universitaire est notre seul point en commun. Sauf qu'eux ont été couverts d'honneurs à la puissante Université Stanford, tandis que j'ai eu une saison sans histoire à l'Université de Montréal.

Avant que je puisse prendre ma revanche, un représentant de l'ATP vient chercher les Bryan pour les conduire à leur prochain rendez-vous. Normalement, j'aurais défendu le droit du public à l'information. Mais au fond, peut-être que c'est moi qu'il venait délivrer...