(Paris) C’était le 5 juin 1983 : Yannick Noah remportait le tournoi de Roland-Garros face au Suédois Mats Wilander. Un triomphe qui a marqué le peuple français et l’histoire du sport tricolore et qui est alors intervenu 37 ans après le dernier succès bleu, blanc, rouge avec Marcel Bernard en 1946.

Vendredi dernier, le natif de Sedan est revenu sur les lieux de sa plus belle victoire. Dans un premier temps, il a raconté plusieurs de ses nombreux souvenirs dans la capitale française.

« Je m’en souviens comme si c’était hier », a confié celui qui est ensuite devenu chanteur à succès.

« Cet évènement a énormément compté pour moi. À l’époque, cette victoire a aussi permis au tennis de se développer en France avec un boom impressionnant quant au nombre de licenciés. Encore aujourd’hui dans la rue, les gens m’arrêtent en évoquant quasiment chaque fois 1983 et cette finale victorieuse face à Wilander. Les témoignages que je reçois sont toujours bienveillants.

« Quelque part, je fais partie du patrimoine. Quand j’ai commencé à jouer, ce n’était pas forcément dans ce but. On crée des liens avec des gens qu’on ne connaît pas forcément. Du coup, c’est encore plus émouvant. »

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Le Français Yannick Noah célèbre après avoir remporté le tournoi de Roland-Garros, le 5 juin 1983.

Mais depuis 1983, plus aucun autre joueur de la France n’a gagné ni à Roland-Garros ni même un tournoi du Grand Chelem. Pour le tennis français, les années filent, mais rien ne se passe. Même Noah ne cache pas son incompréhension.

« Certes, plusieurs tricolores ont disputé des finales, à l’image d’Henri Leconte [Roland-Garros] ou de Cédric Pioline [Wimbledon et Internationaux des États-Unis], mais jamais je n’aurais pensé être encore le dernier Français au palmarès à avoir gagné un tournoi du Grand Chelem. »

Quarante ans, c’est quand même très long.

Yannick Noah

Aucune des générations suivantes n’a donc pu ou su lui succéder au palmarès. Une longue traversée du désert qu’on a cru voir s’interrompre avec l’émergence de talents comme Jo-Wilfried Tsonga et Gaël Monfils, mais les deux hommes n’ont jamais su aller au bout de leurs ambitions avant que des blessures à répétition ne viennent les stopper dans leur élan.

Certes, l’outrageuse domination du trio magique Novak Djokovic-Roger Federer-Rafael Nadal depuis 15 à 20 ans a pour beaucoup d’observateurs constitué une explication plausible pour justifier le manque de réussite des joueurs tricolores, mais elle n’est pas la seule. Les raisons sont aussi d’ordre mental.

Tsonga, Monfils, mais également Lucas Pouille, Richard Gasquet ou encore Gilles Simon n’ont jamais su exploiter tout leur potentiel sur la durée. La faute à une certaine fragilité athlétique, un manque de constance évident et une gestion rarement heureuse de la pression.

Un règlement « trop sévère »

Entre rendez-vous médiatiques, séance photo et concert sur le court Philippe-Chatrier, Noah a une nouvelle fois été fidèle à son franc-parler. Depuis 1988 avec Leconte, aucun de ses compatriotes n’a plus atteint la finale sur la terre battue de Paris.

« Si nous ne connaissons plus la victoire depuis tant d’années, j’estime que le code de conduite mis en place par l’ATP y est également pour quelque chose », a poursuivi Noah.

« Ce règlement trop sévère nuit irrémédiablement à ce sport. Résultat : les joueurs français qui ont souvent beaucoup de caractère et de personnalité en pâtissent inévitablement. Ils sont ainsi contraints de ne plus pouvoir pleinement s’exprimer, de peur d’être aussitôt sanctionnés. C’est vraiment regrettable. À mon époque, on se permettait davantage de choses, ce qui entraînait un lien bien plus fort avec le public, un élément inimaginable en 2023. »

Il n’y a que chez les femmes que le succès de Noah semble avoir donné des ailes.

« Cette victoire en 1983, et même si elle remonte à quatre décennies, a joué un rôle prépondérant dans ma vie », a expliqué Amélie Mauresmo, qui a remporté deux tournois du Grand Chelem (Internationaux d’Australie 2006 et Wimbledon 2006) et qui est aujourd’hui directrice du tournoi parisien.

« Beaucoup de femmes se sont ensuite mises à pratiquer ce sport, ce qui explique l’essor du tennis féminin dans notre pays dans les années 1990 et 2000. »

Mary Pierce s’était ainsi adjugé les Internationaux d’Australie en 1995 et Roland-Garros cinq ans plus tard, ainsi que Marion Bartoli à Wimbledon il y a dix ans.

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Amélie Mauresmo et Yannick Noah

Et si 2023 était enfin la bonne année ? Au premier regard, difficile d’y fonder de sérieux espoirs entre les blessures récurrentes de Monfils et le manque de punch et d’éclat de la génération de ces dernières années incarnée par Ugo Humbert, Corentin Moutet ou encore Arthur Rinderknech.

Mais de nouveaux jeunes talents pointent le bout de leur nez depuis quelques semaines, en tête desquels Luca Van Assche et Arthur Fils. Ce dernier vient de gagner à seulement 18 ans son premier tournoi sur le circuit ATP du côté de Lyon. Il dispute seulement sa troisième année chez les pros et il dévore d’ambition.

« C’est assurément un joueur pétri de talent », lance Leconte, rival à l’échelon national de Noah dans les années 1980 et 1990.

« Il est déjà plein de maturité et son jeu est plutôt complet. Il est à la fois puissant et très mobile, il dispose d’un gros service. À mes yeux, il incarne la nouvelle génération du tennis français. S’il faudra faire preuve de patience à son égard, pourquoi ne pas fonder des espoirs de voir le tennis français de nouveau tout en haut de l’affiche grâce à lui ? Personnellement, j’y crois. »

L’optimisme est moins prononcé dans la bouche de Noah.

« Pour un Français, c’est difficile d’être champion. Pour changer les choses, il est préférable d’aller se nourrir ailleurs parce que sur ses terres, on est habitué à perdre, et ce, à tous les niveaux. Même les entraîneurs ont tous perdu, donc tous ces jeunes joueurs sont entourés de coachs qui ne connaissent pas la gagne. Lorsqu’un Français va loin dans un tournoi d’envergure, il ne sait pas gérer cette phase de réussite. »

Bref, Noah devra probablement patienter encore un bail avant de voir un compatriote lui succéder au palmarès…