On l’a aimé. Puis il s’en va. Il a suffi d’un coup droit gagnant de Jack Sock, et c’en était fait de la carrière de Roger Federer. Même s’il a perdu son dernier match, tout le monde a gagné. Puis les larmes ont coulé.

Comme demain vient toujours un peu trop vite, la carrière de Federer, qui s’est étalée sur 24 ans, a pris fin vendredi, en Coupe Laver, à Londres, après qu’il se fut incliné 6-4, 6-7 et 9-11 en match de double avec Rafael Nadal, contre Frances Tiafoe et Jack Sock.

Ultimement, dans le contexte, le résultat a quelque chose d’anecdotique. L’issue du match n’a somme toute que peu d’importance. Federer avait donné rendez-vous aux amateurs pour une dernière fois, et comme des adieux qui se passent un peu trop bien, personne n’a été déçu.

Une soirée mémorable

Même s’il n’avait pas joué depuis un an et demi et que son genou gauche reste extrêmement fragile, Federer tenait à conclure sa carrière dans le cadre du tournoi qu’il a créé en 2017.

C’était le jour R. Celui de la retraite du grand Roger. « Je suis heureux, je ne suis pas triste », a-t-il dit pour rassurer les spectateurs à l’issue de sa rencontre.

Le match a commencé sous un tonnerre d’applaudissements, et même s’il y avait quatre guerriers sur le terrain, tout le monde n’en avait que pour le Suisse de 41 ans. Même Novak Djokovic n’a pu s’empêcher de sortir son téléphone intelligent pour filmer l’entrée en scène de celui qu’il avait affronté une cinquantaine de fois avant son dernier acte. Comme s’il était redevenu un simple fan de tennis.

C’est toutefois avec Nadal que Federer a décidé de partager le terrain. Des rivaux devenus amis. Des adversaires devenus légendaires.

« Fedal ». Comme un fait d’armes ou le plus important chapitre de l’histoire de ce sport.

PHOTO DYLAN MARTINEZ, REUTERS

Rafael Nadal et Roger Federer en match de double vendredi

En début de match, alors que Federer, détendu comme à son habitude, semblait en parfait contrôle, c’est Nadal qui avait l’air de prendre le plus à cœur cet affrontement sans lendemain. Comme s’il voulait à tout prix que la carrière de son acolyte se termine sur une belle note.

Sur un terrain complètement noir, comme un tableau sur le mur d’une classe, le duo était prêt à écrire la dernière page de son histoire commune.

Comme dans ses belles années, Federer a exécuté des coups magistraux comme lui seul en a le secret. Même si son corps ne suit plus et que son mythique jeu de jambes n’est plus aussi bien accordé, son partenaire et lui ont enlevé la première manche.

La foule, à l’évidence du côté de l’équipe Europe, a été comblée. Des échanges à couper le souffle, notamment au filet, et des jeux spectaculaires ont marqué la deuxième manche, qui s’est terminée à l’avantage du duo Sock-Tiafoe.

Dans la manche ultime, au super jeu décisif, Federer a puisé au plus profond de son être pour aller siphonner ce qu’il restait de magie. As, volée gagnante, retour en flèche et revers sur valse ont offert à Fedal une balle de match, mais cela n’a pas suffi.

La paire de l’équipe Monde l’a emporté, mettant un terme à la carrière de celui qui aura été le joueur le plus apprécié de tous les temps.

C’est à partir de ce moment que tout le monde a craqué.

Une fin chargée d’émotion

Dès que Federer s’est retourné après avoir serré la main de l’officiel, il s’est mis à pleurer. Il était inconsolable. C’est aussi cette vulnérabilité assumée qui l’a rendu attachant et a permis au Suisse de rejoindre autant de gens.

Habituellement, les grands champions ne se laissent pas envahir par leurs émotions. Or, c’est parce qu’il est capable de les exprimer que Federer en est devenu un dans le cœur des gens. « Ce n’était pas censé se passer comme ça. Je voulais seulement jouer au tennis et passer du temps avec mes amis. Et j’ai abouti ici. Si c’était à recommencer, je ne changerais rien », a-t-il déclaré la voix tremblante, étranglé par l’émotion.

PHOTO ANDREW BOYERS, ACTION IMAGES PAR REUTERS

Roger Federer était en larmes après le match.

Il a fait l’accolade à ses coéquipiers et ses adversaires, ce qui a permis de constater que tout le monde avait la larme à l’œil. Casper Ruud, Stéfanos Tsitsipás, Andy Murray. « Je ne voulais pas être seul. […] Je voulais dire au revoir en équipe, parce que je sens qu’au fond de mon cœur, j’ai toujours été un joueur d’équipe. »

Cependant, c’est Nadal qui avait l’air le plus affecté. Assis dans le fond de son banc, il a versé des torrents de larmes. Après tout, Federer et lui sont intimement liés, tant ils ont traversé de choses ensemble. Avec le départ de Federer, c’est sans doute une partie de lui qui part du même coup.

Une ovation debout de près de dix minutes a permis à la vedette du jour de saluer tout le monde. De remercier les spectateurs et de s’abreuver, pour une dernière fois, de tout l’amour d’une foule qui aurait voulu que ça dure une éternité.

Federer, fédérateur, a livré un discours chargé d’émotion et empreint de sincérité après la rencontre. Un message entrecoupé d’applaudissements et de larmes.

Discours pendant lequel il a remercié les amateurs, les joueurs, mais surtout sa femme, ses quatre enfants et ses parents.

Il a souligné que c’est sa conjointe, Mirka, qui l’a poussé à continuer, il y a quelques années, lorsqu’il a souhaité arrêter. « Elle m’a encouragé et m’a permis de jouer. C’est fantastique », a-t-il précisé en regardant sa femme dont le visage laissait paraître une immense fierté, malgré la peine.

Plusieurs matchs et quelques blessures plus tard, Federer a mis fin à sa carrière avec des banderoles électroniques qui affichaient, en raison de la défaite, « Victoire de l’équipe Monde [Team World Win] ». Une défaite qui dit vrai, car vendredi soir et depuis 24 ans, c’est tout le monde qui a gagné grâce à Roger Federer.