Roger Federer fait assurément partie des plus grandes icônes sportives de sa génération. Cependant, l’heure de la retraite approche pour le Suisse et c’est pourquoi Christopher Clarey tenait à publier l’œuvre la plus complète jamais écrite à propos de l’homme aux 20 titres du Grand Chelem.

« Bonjour, comment ça va ? », a répondu M. Clarey lorsque nous l’avons joint par téléphone, à Rome. Il venait tout juste de terminer une entrevue d’après-match avec Bianca Andreescu. « Elle a l’air bien. Ça doit être plaisant pour vous de la voir jouer à nouveau ! »

Toute l’entrevue s’est déroulée dans la langue de Molière. Journaliste au New York Times, Christopher Clarey a eu la chance de parcourir le monde entier. Affecté à la couverture du tennis depuis 30 ans, il a eu l’occasion de parfaire son français, qui frôle aujourd’hui la perfection.

Trois décennies pendant lesquelles il a aussi eu le privilège de suivre et de côtoyer Roger Federer de près. Ce qui culmine aujourd’hui en l’œuvre ultime à propos du maître suisse. « Je voulais vraiment comprendre le phénomène de sa popularité globale et internationale, parce que c’était évident, en voyageant partout avec lui, qu’il avait une popularité très forte, partout dans le monde, et je voulais savoir pourquoi. Je voulais aussi comprendre avec lui comment un jeu comme le sien avait été construit. Techniquement et psychologiquement », a raconté l’auteur de Federer : le maître du jeu, paru aux éditions Flammarion.

Des problèmes insoupçonnés

Christopher Clarey voulait aussi se pencher sur l’histoire de Federer en raison de ses problèmes de comportement. Si le joueur que l’on connaît aujourd’hui a toujours l’air calme et en contrôle, ça n’a pas toujours été le cas. Pendant sa jeunesse, il avait énormément de difficulté à gérer sa frustration, sa déception et sa colère.

L’auteur fait notamment allusion dans son livre à un jeune Federer qui pleure sur le terrain, qui va se réfugier sous la chaise de l’officiel après une défaite pour verser toutes les larmes de son corps. Il fait aussi mention de matchs si gênants à regarder que ses parents n’ont pas voulu le raccompagner à la maison parce que son attitude était à ce point problématique. « Il était tourmenté et incapable d’exprimer son plein potentiel, et je voulais comprendre le chemin qu’il avait parcouru. »

Le journaliste estime aussi que, malgré la croyance populaire, le Suisse n’est pas le plus solide mentalement de cette génération dorée qui comprend aussi Novak Djokovic et Rafael Nadal. Il s’agissait aussi pour lui d’un angle intéressant.

PHOTO BEN STANSALL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Roger Federer à Wimbledon en juillet 2021

Il explique que Federer a perdu des matchs d’une extrême importance, alors qu’il avait une balle de match, notamment parce qu’il est plus fragile que l’on pourrait le croire. « C’est quelqu’un qui n’avait peut-être pas la capacité de réussir sous la pression aussi souvent que Djoko ou Nadal, mais il a tellement souvent gagné avec classe et finesse », a-t-il ajouté.

C’est probablement ce qui explique son immense popularité. Les amateurs ont pour lui un amour inconditionnel. Plus que pour n’importe quel de ses contemporains dans l’histoire du tennis. « Les gens sentent qu’ils ont une relation personnelle avec lui, même s’ils ne parlent pas la même langue. Je pense que c’est parce qu’il a souvent été vulnérable et mis à l’épreuve publiquement. »

De grandes défaites

Roger Federer est considéré par plusieurs comme le plus grand joueur de l’histoire. Avec ses 103 titres, dont 20 en Grand Chelem, et ses 1251 victoires en carrière, il est aussi considéré par plusieurs comme le plus grand champion.

Cependant, Christopher Clarey insiste sur le fait qu’il est aussi, peut-être, le plus grand perdant de l’histoire. Cette affirmation n’a pas une connotation aussi négative que ça ne laisse paraître. Il s’agit seulement d’une constatation qui s’applique à un joueur qui a disputé de grands matchs qu’il n’a pas pu gagner.

Selon l’auteur, les trois plus grands matchs que Roger Federer a disputés sont la finale de Wimbledon en 2008 contre Rafael Nadal, la finale des Internationaux d’Australie en 2017 encore contre Nadal et la finale de Wimbledon en 2019 contre Novak Djokovic. Federer a perdu le premier et le dernier. C’est un fait. Un fait qui doit aussi être considéré lorsqu’on brosse le portrait d’une carrière tout aussi admirable qu’imparfaite.

PHOTO TIM IRELAND, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Roger Federer et Novak Djokovic lors de la finale de Wimbledon en 2019

« Ça a rapproché le public, ça a humanisé Roger, de voir qu’il pouvait pleurer en public et montrer ses émotions, surtout au début de sa carrière. C’était assez rare à l’époque pour un athlète masculin, et c’est encore rare. À mon avis, il a changé ce qui était possible et acceptable en tant que sportif. »

Le travail d’une vie

Roger Federer détonne de ses rivaux en raison de son élégance, de sa grâce, de sa classe et de sa fluidité sur le terrain. Cette élégance est innée chez le Suisse. « On peut imaginer qu’il était aussi un joueur élégant au foot à 12 ans, explique Christopher Clarey. C’est naturel, mais il y a aussi beaucoup de travail et de raffinement dans cette élégance du geste qui sépare Roger de tous les autres joueurs de tennis. »

C’est son entraîneur de l’époque, Peter Carter, qui a transformé le jeu de Federer et qui lui a permis d’être le modèle technique qu’il est devenu. Il a réinventé le coup droit, le service, le jeu de jambes et le revers du Suisse. Autant d’armes qui sont devenues des éléments caractéristiques de son jeu.

« Roger était destiné à être un bon joueur de tennis, il n’y a pas de doute, mais il n’était pas destiné à être le grand champion qu’il est aujourd’hui. […] Roger n’était pas un jeune prodige comme Nadal. »

Il a dû travailler d’arrache-pied pour atteindre et maintenir un tel niveau d’excellence. Un niveau qui n’est plus le même, certes. Le joueur de 40 ans accumule les blessures et les absences prolongées. Son avenir sur le circuit est incertain, et c’est pourquoi Christopher Clarey avait envie d’écrire le livre qu’il avait en tête le plus rapidement possible. Il tenait à le publier pendant que Federer était toujours actif.

L’histoire s’est écrite sous nos yeux et Christopher Clarey voulait la coucher sur papier pour qu’elle puisse rester figée dans le temps.

Federer : le maître du jeu

Federer : le maître du jeu

Flammarion Québec

496 pages