À eux seuls, ses « Deuce » et « Time » font partie du spectacle. Entretien avec Kader Nouni, arbitre parmi les figures de proue dans le monde du tennis.

Inutile de le voir. Dès le premier appel, on sait qu’il est en service.

Les mordus de tennis reconnaissent la voix de Kader Nouni instantanément. Cette voix basse, grave, maintes fois associée à celle de Barry White dans les médias, voire dans des montages conçus par des amateurs.

« J’en ai vu un ou deux, je crois, admet l’arbitre français, en entretien vidéo avec La Presse, à la mi-janvier. En plus, je suis fan de lui, j’aime sa musique. »

S’il ne semble pas convaincu de la parenté entre son timbre et celui du célèbre chanteur américain – il n’en a pas la prétention, du moins –, Nouni assure ne pas être las de se faire parler de sa voix, bien que cela lui colle à la peau depuis des lustres. Ayant rejoint la WTA en 2008, il est le membre le plus ancien de l’équipe actuelle des arbitres de chaise du circuit.

« Qu’on parle d’arbitres sans qu’il y ait de problème, c’est une bonne chose déjà. Ensuite, cette voix, ça fait partie de moi », indique l’officiel, aussi décontracté assis dans son salon que juché sur le court central.

On a la voix qu’on a, en effet, cela va de soi. N’empêche, difficile de ne pas le soupçonner de jouer un peu avec cette marque de commerce…

« Sur le moment, je ne me pose pas la question, rétorque Nouni. Déjà, à la base, on dit aux jeunes quand ils commencent l’arbitrage qu’on n’annonce pas le premier point comme le dernier point. Le premier jeu du match, on ne va pas l’annoncer de la même façon qu’à 5-4 au cinquième set. Moi, c’est comme ça que j’ai appris, donc c’est comme ça que je fais.

« Ensuite, il y en a qui sont toujours linéaires et qui eux, par contre, vont arbitrer de la même façon du premier au dernier point. Moi, ce n’est pas mon truc. Chacun a sa personnalité, la mienne a été effectivement de suivre un petit peu le fil du match. »

Je ne dirais pas que j’en joue, mais j’aime bien coller au moment. On peut dire ça comme ça. J’aime bien quand la voix colle à ce qui se passe.

Kader Nouni

En quelque sorte la philosophie de l’arbitre qui, jusqu’à un certain point, fait partie du spectacle. Par opposition à celle qui prône plutôt que l’officiel doive s’effacer au maximum.

Il rit. « Si je te dis que j’ai envie d’être effacé, tu vas me dire : “Kader, ce n’est pas possible !” À l’époque, on me remarquait parce que j’avais l’afro et la voix. Aujourd’hui, je perds mes cheveux, mais j’ai la barbe et j’ai toujours la voix ! J’essaie de prendre du plaisir. Après, effectivement, les gens peuvent se dire : “Il en fait un peu trop, il joue un peu trop.” Mais le plus important, c’est qu’au final, je fasse un bon job. Si, en plus, les gens prennent du plaisir avec ça, why not ? »

La fin des juges de ligne

Kader Nouni, né à Perpignan, en France, de parents d’origine algérienne, s’est intéressé au tennis en bas âge. Dans le sillage de son frère aîné, en fait.

« Il a vu Yannick Noah gagner Roland-Garros [en 1983], puis il a voulu faire du tennis », raconte l’arbitre. Le frère, Miloud, a alors 11 ans, lui, 7.

À la fin des années 1980, début des années 1990, le tennis coûtait très cher, évoque Nouni. Or, son club cherchait des arbitres pour le tournoi local. C’est ainsi qu’il a mis le pied dans le métier. Pour payer ses cours de tennis.

J’étais très jeune. J’avais 12, 13 ans quand je suis monté sur une chaise d’arbitre.

Kader Nouni

« À l’époque, on arbitrait dans les tournois de clubs et dans les tournois par équipe, par exemple, poursuit le Français de 45 ans. Et si jamais on arbitrait plusieurs fois dans la ligue dans l’année, on pouvait postuler pour aller à Roland-Garros. Donc, beaucoup font ça. Beaucoup de juges de ligne de Roland-Garros sont déjà des arbitres dans leur club. »

Voilà qui pose le problème de la relève en arbitrage au tennis professionnel. Le problème potentiel, du moins. Puisque, comme on le sait, les juges de ligne tendent à disparaître au profit d’appels exclusivement électroniques.

« Pour l’instant, ça va. Mais, effectivement, c’est un peu compliqué parce que qui dit fin des juges de ligne, dit difficile de trouver des arbitres, au final. On commence tous en tant que juges de ligne. On passe sur une chaise et on ne fait que la chaise ? Non. À l’époque, c’était ça, mais plus maintenant. Quand j’ai commencé, il fallait être juge de ligne d’abord, et après, on faisait les chaises. »

Bien qu’il ait arbitré très jeune localement, Kader Nouni a donc aussi fait ses classes comme juge de ligne. À son premier Roland-Garros dans ce rôle, il n’avait que 16 ans…

Alors, que pense-t-il de leur disparition progressive ?

« Apparemment, c’est l’avenir, on ne peut pas trop lutter, dit-il en riant. L’erreur est humaine, donc on est censés en avoir moins. Et les joueurs ont l’air d’être un peu plus calmes puisque la machine a le dernier mot. »

Forcément, cette machine n’est pas absolument infaillible. Mais, c’est indéniable, la technologie Hawk Eye se trompe moins souvent que l’œil humain.

Un plus pour la fiabilité des appels. Cela dit, avec la disparition des juges de ligne disparaît également le travail d’équipe, le contact humain.

« Ah, bien sûr, ce n’est pas la même chose. Quand on arbitre sur un terrain où il n’y a pas de juges de ligne et qu’on est tout seul, ce n’est pas funky », illustre Nouni.

Mais il n’ira pas jusqu’à affirmer que cette évolution rend, en quelque sorte, le travail d’arbitre de chaise plus ennuyeux.

On va dire différent. Comme toujours, c’est une question d’habitude. Au départ, ça fait bizarre, puis au final, on s’y fait. On s’y fera.

Kader Nouni, à propos de la disparition des juges de ligne

En raison de la nature de la surface, les derniers Gaulois seront évidemment les dirigeants de tournois sur terre battue. Roland-Garros en tête. Kader Nouni lui-même aurait bénéficié de la présence d’un système d’appel électronique, alors qu’il a été au cœur d’une controverse sur le tout dernier point de la plus récente finale féminine du Grand Chelem parisien.

Mais l’uniformisation du recours à l’électronique sur toutes les surfaces n’est probablement qu’une question de temps.

« Je ne peux pas lire dans le futur, mais en tout cas, on en prend la direction », observe-t-il.

« Une ambiance de dingue »

Kader Nouni a obtenu son premier grade international au début de la vingtaine. Des tournois, des matchs, il en a fait des milliers.

Il aime certains tournois pour l’ambiance, d’autres, pour la ville, ou encore les conditions.

Récemment, il a particulièrement apprécié les Finales WTA disputées en novembre dernier, à Guadalajara, au Mexique. Plus d’un an et demi après le début de la pandémie, renouer avec un public enthousiaste s’est révélé plus que bienvenu.

C’était une ambiance de dingue. Ça a fait du bien pour tout le monde.

Kader Nouni, à propos du retour des spectateurs dans les gradins, lors des Finales WTA

En janvier, Nouni se permet une pause familiale depuis quelques années, d’où son absence en Australie.

En fin d’entrevue, on a bien tenté de lui soutirer une anecdote impliquant un joueur – retraité, évidemment. En vain.

« Parce que moi, je suis encore actif. Sans compter que des retraités, ça peut revenir au jeu… », justifie-t-il.

Il n’ira donc pas sur ce terrain-là. Pas pour l’instant.

« Quand j’arrêterai ma carrière d’arbitrage, je balancerai des noms ! »