En matière de vaccination contre la COVID-19, le monde du tennis traîne la patte comparativement aux autres sports professionnels majeurs. Les retardataires profiteront-ils des six semaines de pause en fin d’année pour y remédier ? Le point avec Eugène Lapierre.

Victoria Azarenka ne craint pas de monter au front.

Dans le passé, elle a notamment fait pression auprès de la WTA pour que des garderies temporaires soient mises en place sur les sites des tournois pour les athlètes mères. Un cheval de bataille qu’elle compte reprendre après la pandémie, a-t-elle indiqué en entrevue avec La Presse pendant l’Omnium Banque Nationale.

Puis, il y a un mois, pendant les Internationaux des États-Unis, elle s’est avancée sur le terrain de la vaccination contre la COVID-19, jugeant incohérent qu’elle soit imposée aux spectateurs, mais pas aux joueurs.

« Je veux relancer la discussion. À mon avis, il est inévitable que ce soit rendu obligatoire à un moment donné, a suggéré la joueuse de 32 ans. Je ne vois pas l’intérêt de retarder cela, après tout nous voulons tous être en sécurité et continuer à faire notre travail. »

La 34e mondiale, gagnante de deux titres majeurs, a aussi dit « respecter l’opinion de chacun, tant que cela ne s’appuie pas sur une théorie du complot ».

Si le sujet refait surface périodiquement dans le monde du tennis, c’est que le taux de vaccination complète – deux doses, ou une seule pour le vaccin de Johnson & Johnson – demeure bien faible sur l’ATP et la WTA. Par rapport aux circuits majeurs nord-américains, entre autres.

Voici les données les plus à jour :

  • LNH : 98 ou 99 % des joueurs devraient être vaccinés au début de la saison (moins de 15 non vaccinés)
  • NFL : 94 % des joueurs vaccinés, il y a une semaine
  • LCF : 79 % des joueurs partiellement ou entièrement vaccinés, il y a trois semaines
  • MLS : près de 95 % de joueurs vaccinés, en août
  • MLB : environ 85 % de joueurs vaccinés
  • NBA : quelque 95 % des joueurs ont reçu au moins une dose
  • PGA : plus de 70 % pour les golfeurs et 90 % pour les cadets, en août

Sources : Associated Press, Radio-Canada et sites des ligues

La Presse a demandé à l’ATP et à la WTA ses statistiques les plus récentes.

Du côté de l’ATP, elles remontent à avant les Internationaux des États-Unis, donc à la fin du mois d’août. « Juste au-dessus de 50 % », nous a réitéré cette semaine un porte-parole du circuit masculin.

Pour ce qui est de la WTA, « à l’heure actuelle, près de 60 % de [ses] joueuses sont entièrement vaccinées », nous a écrit mercredi Amy Binder, vice-présidente, communications.

PHOTO DYLAN BUELL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

À l’heure actuelle, près de 60 % des joueuses du circuit de la WTA sont entièrement vaccinées contre la COVID-19.

Selon Eugène Lapierre, ces chiffres sont légèrement en dessous de la réalité.

Un allègement des mesures pour les vaccinés – la fin des tests PCR obligatoires pendant les tournois – a provoqué un « boost » de vaccination, aurait-on révélé dans une réunion de l’ATP à laquelle il a pris part la semaine dernière. Les joueurs pleinement vaccinés n’auront plus qu’à présenter une preuve de résultat négatif en entrant dans un pays.

Et du côté de la WTA, une formalité administrative – un document à remplir et à transmettre pour officialiser le statut de vacciné – aurait pour effet de diminuer un peu le taux, affirme-t-il.

« Mais, oui, les chiffres sont bas », a reconnu le vice-président de Tennis Canada et directeur du volet montréalais de l’Omnium Banque Nationale. « Et, oui, on essaie de convaincre tout le monde. »

Valse-hésitation

Selon Andy Murray, membre du conseil des joueurs, ses confrères « ont la responsabilité » de se faire vacciner en tant que voyageurs internationaux réguliers.

Le tennis ne peut toutefois être comparé aux autres sports, souligne Eugène Lapierre.

« Les joueurs viennent de pays complètement différents et sont sur la route tout le temps », note-t-il.

« Comme les athlètes WTA sont internationales et parcourent le monde tout au long de l’année, la possibilité de recevoir les deux doses entre le voyage et l’entraînement constitue un défi [par opposition à s’ils étaient établis dans un pays à temps plein] », fait observer, dans la même veine, Mme Binder.

Ces déplacements constants sont le principal argument invoqué par les joueurs, soutient Eugène Lapierre.

« Il y en a assez peu qui se disent contre », souligne-t-il. Ouvertement, du moins.

Stéfanos Tsitsipás l’a fait en août, avançant qu’il ne voyait pas de raison d’être vacciné à son âge (23 ans). Vertement critiqué par le gouvernement grec, il a changé son fusil d’épaule il y a une dizaine de jours.

PHOTO KENA BETANCUR, AGENCE FRANCE-PRESSE

Stéfanos Tsitsipás

Le Russe Daniil Medvedev, gagnant des Internationaux des États-Unis, avait aussi exprimé des doutes sur le vaccin il y a quelques mois.

Cela dit, il y a également la nature individuelle du tennis qui rend boiteuse toute comparaison avec les sports d’équipe.

Le golf constitue donc le meilleur comparatif. Mais, là encore, la proportion marquée de joueurs américains sur le PGA Tour et le fait que la grande majorité des tournois les plus importants soient disputés aux États-Unis faussent le parallèle.

N’empêche, comme l’a reconnu Eugène Lapierre, que le taux de vaccination chez les professionnels du tennis est bas. Et qu’il est légitime de le mettre en relief, alors que la population est ardemment incitée à se faire vacciner et qu’elle y adhère dans une très forte proportion.

Inviter avec insistance ses membres à se faire vacciner, c’est aussi l’approche de l’ATP et de la WTA. Les deux organisations le font notamment au moyen de séances d’information virtuelles fréquentes avec des experts du milieu médical.

Par ailleurs, les athlètes ont l’occasion de se faire vacciner sur le site de la plupart des évènements des deux circuits. Ce serait bien sûr un non-sens de le faire en plein tournoi… Mais pourquoi pas après avoir été éliminé ?

« Je pense que c’est assez généralisé que les athlètes ont une petite nervosité par rapport à ce qu’ils mettent dans leur corps à l’approche d’autres compétitions », répond Eugène Lapierre.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Eugène Lapierre, vice-président de Tennis Canada et directeur du volet montréalais de l’Omnium Banque Nationale

Nous, on l’a offert sur place, ici [durant l’Omnium Banque Nationale], et je pense qu’il y a eu une athlète… Il y a plein de monde de leur entourage qui est allé, des techniciens qui venaient d’ailleurs, mais je pense qu’il n’y a qu’une joueuse qui en a profité.

Eugène Lapierre

Une, alors qu’il y avait quelque 90 joueuses – dont on peut avancer qu’environ 35 n’étaient pas vaccinées – dans les tableaux principaux en simple et en double.

Le très important tournoi de Cincinnati suivait dans la foulée, ce qui n’a sans doute pas aidé. La majorité des joueurs sont éliminés dès les premiers jours, et les effets secondaires potentiels ne durent que 48 heures, mais il y a également les entraînements.

Les yeux tournés vers 2022

Légalement, il serait très complexe d’obliger la vaccination au tennis en raison de son caractère international, indique Eugène Lapierre.

De toute façon, dans le milieu, on croit que l’entre-saison sera le moment propice.

On s’attend à ce qu’il y ait une assez bonne augmentation dans la période morte de novembre et décembre.

Eugène Lapierre

Même écho du côté de la WTA.

« Nous sommes optimistes et avons bon espoir que les taux de vaccination augmenteront au cours des prochains mois et à l’approche de la saison 2022 », nous a écrit Amy Binder.

Déjà, le ministre des Sports de l’État de Victoria a annoncé que les joueurs vaccinés contre la COVID-19 subiraient moins de restrictions que les autres dans leurs déplacements aux Internationaux d’Australie, en janvier. Un incitatif fort.

Qu’en sera-t-il alors des bulles, voire des isolements stricts ? À suivre.

Quoi qu’il en soit, l’ATP et la WTA espèrent atteindre 85 % de vaccinés d’ici la fin de l’année.

« Ça va bouger », assure Eugène Lapierre.

Avec l’Agence France-Presse

L’horizon s’éclaircit à Tennis Canada

Le gouffre financier laissé par l’annulation de la Coupe Rogers en 2020 avait contraint Tennis Canada à se séparer d’environ 40 % de son personnel et à sabrer quelque 60 % de ses programmes de développement. Cette année, l’organisation se dirige vers un « léger surplus », dévoile Eugène Lapierre. « D’après moi, on va réengager certains employés. On est là-dedans présentement. Et vu qu’on a eu une meilleure année que prévu, on va être capables de réinvestir un peu ce qu’on a dans le développement », dit-il. On espère notamment pouvoir remettre au calendrier les Challengers annulés. Mais la planification commence à peine, et la fédération sera prudente dans ses prédictions pour 2022. « C’est sûr que ce ne sera pas à 100 % comme en 2019 et avant, mais on va essayer de revenir à une année un peu plus normale », indique le directeur du tournoi montréalais de l’Omnium Banque Nationale. Plus de 50 000 personnes ont pu assister à des matchs au stade IGA, en août. Très loin – en raison des limites imposées par la Santé publique – des 178 000 chez les femmes en 2018 et des 223 000 chez les hommes en 2019.