À l’aube de l’Omnium Banque Nationale, discussion tennis tous azimuts avec celle qui incarne ce sport depuis des décennies dans le paysage médiatique québécois.

« Les gens savent à quel point j’adore Nadal », laisse tomber Hélène Pelletier, en étirant le dernier verbe. Ils ont également remarqué qu’elle admire le jeu de Federer. Alors, qui est le plus grand de tous les temps, selon elle ?

Hélène Pelletier a joué sur le circuit professionnel de 1982 à 1986. À peine la raquette remisée, elle saisissait le micro et passait devant la caméra comme journaliste. D’abord à Radio-Canada, puis à RDS, trois ans plus tard, dès la naissance de la chaîne.

À sa 35année dans le métier, elle a récemment assisté, comme nous tous, au 20triomphe en Grand Chelem de Novak Djokovic, à Wimbledon. Par conséquent, à la triple égalité au sommet qui en résulte. À l’approche des Internationaux des États-Unis, Roger Federer, Rafael Nadal et lui sont actuellement ex æquo à ce chapitre.

Alors, la fameuse question ?

« Ce n’est pas un débat qui est facile. J’ai de la difficulté à soumettre une réponse parce que je sais que mes émotions vont entrer en ligne de compte ! »

On comprendra rapidement que la base de son attachement au Majorquin se trouve bien loin dans son propre passé.

« Chez nous, c’était la philosophie de mon père : si tu travailles plus fort que le voisin, il y a de bonnes chances que tu ailles plus loin. C’était l’effort à l’excès. Comme Nadal, d’ailleurs ! Il ne peut pas s’empêcher de jouer tous les tournois avant Roland-Garros et là, il est fatigué, il n’est plus capable. Mais on aurait pu le lui dire il y a 10 ans, n’est-ce pas ? » demande-t-elle.

Et, pour moi, jouer au tennis, c’était un peu comme Nadal. C’était du travail. On transpire, on ne lâche pas.

Hélène Pelletier

À 35 ans, l’Espagnol – 13 fois couronné à Roland-Garros – n’a peut-être pas dit son dernier mot. Mais pour ce qui est de Roger Federer, qui aura 40 ans dimanche, aux prises avec un genou droit qui ne semble plus vouloir se rétablir entièrement, on se dirige inexorablement vers la fin des émissions. Le générique approche. Mais quel palmarès ce sera. Et quel legs, aussi.

« Je pense que, pour moi, ce sera toujours Roger Federer, lâche Hélène Pelletier. Parce qu’il rend le tennis facile. Il est gracieux. Donc, il nous amène ailleurs lorsqu’on le regarde et qu’il joue bien. Et on l’a vu bien jouer beaucoup plus souvent que mal jouer ! Je dirais que 95 % de ses matchs, c’est un réel plaisir de le voir parce qu’il nous fait rêver. »

C’est comme si on regardait un film en même temps qu’un match de tennis. C’est trop beau pour être vrai.

Hélène Pelletier, à propos de Roger Federer

Elle vante ses déplacements, la variété de ses coups. Son intuition à la volée, notamment.

Donc, pour le génie du jeu, Federer. Mais…

« J’adore Nadal parce que c’est une bonne personne. Il est humble, il est gentil. Quand on faisait les entrevues à Montréal avant le tournoi, il donnait la main à tous les techniciens avant de partir. Il n’y en a pas un autre qui est venu proche de faire ça », raconte-t-elle.

« Supposons que tu as un désastre, c’est Nadal que tu envoies. C’est Nadal que tu veux comme premier ministre parce que lui va s’en occuper, ça va être juste. Il va mettre ses bottes de caoutchouc et il va aller enlever la boue comme il l’avait fait sur l’île de Majorque quand il y avait eu des inondations [en 2018]. Il était avec le peuple, il travaillait avec eux et il ne disait pas des petites phrases déjà toutes faites, de marketing. C’est un vrai de vrai. »

Et Djokovic dans tout ça ?

« Il est fascinant à sa manière. Mais il y a trop de choses qu’il fait qui me dérangent profondément, relève l’analyste. Alors, il en aura 32 victoires en Grand Chelem, ce ne sera pas mon plus grand joueur de tous les temps. »

Voilà. C’est dit.

Des entrevues mémorables

Hélène Pelletier a déjà battu Martina Navratilova en double, à Miami. En simple, elle a atteint le tableau principal de Wimbledon, en 1984, s’inclinant d’entrée de jeu contre l’Allemande Bettina Bunge.

Elle a mis un terme à sa carrière à Montréal, en 1986. Son plus beau souvenir comme joueuse dans la métropole est sa victoire au premier tour contre l’Australienne Elizabeth Smylie, alors près du 50rang mondial, en 1984. Et expéditive : 6-2, 6-2.

Cette relation avec le tournoi s’est ensuite poursuivie dans sa deuxième carrière.

« Pour moi, ce tournoi-là aura été extrêmement précieux. C’était beaucoup de travail parce qu’on était sur la passerelle pour faire l’analyse, quand le match achevait, je m’en allais en bas pour prendre le micro et faire l’entrevue avec le joueur sur le terrain. Et aussi, je m’en allais dans le corridor de l’édifice pour parler aux joueurs avant le match. Puis, il y avait le bulletin de nouvelles, et ci et ça. »

Énormément de boulot. Mais du pur bonheur, dit-elle.

Elle pense notamment à l’édition 2009. À des souvenirs précis avec Nadal et Federer.

Notre plus grand plaisir, c’est que les gens aient du bon temps en nous écoutant.

Hélène Pelletier

« Et en 2009, j’avais réussi à faire rire Federer et Nadal sur le terrain en entrevue. Il fallait que je sois assez confiante en moi pour sortir un peu des sentiers battus. C’était deux questions pas plus, il ne fallait pas que tu te trompes ! Alors, ce sont mes plus beaux moments. De les avoir eus en entrevue, qu’ils aient été généreux avec moi et aussi de pouvoir faire partager ça aux gens, sur le terrain », indique la membre du Temple de la renommée de la Fédération québécoise de tennis

RDS n’est plus le diffuseur de ce qui est maintenant l’Omnium Banque Nationale. La présentation du tournoi est désormais confiée à TVA Sports.

Serena, le coaching, la technologie

Jaser de tennis pendant une heure avec Hélène Pelletier, c’est recueillir presque assez de matière pour écrire un livre ! Il en manquera de grands pans ici.

Mais, en vrac, voici trois des nombreux sujets d’actualité abordés et sa position, résumée, sur ceux-ci :

Serena Williams finira-t-elle par remporter ce 24titre majeur qui lui permettrait de rejoindre Margaret Court ?

« Non. » Sans hésitation.

« Elle n’a plus de chevilles. Elle n’est plus capable de bouger sur le terrain. C’est ça, son problème, la rapidité. Elle a travaillé fort pour essayer de revenir, mais elle a presque 40 ans et elle a été énormément blessée. Au fil d’un tournoi, ils lui font des tapings de la grandeur d’un plâtre à un moment donné. Ça n’a pas de sens. »

La sortie récente sur Twitter de Stéfanos Tsitsipás, qui déplorait l’interdiction du coaching pendant les matchs

« Au tennis, ça leur prend tellement de temps avant de changer des choses. C’est ridicule. Qu’est-ce que ça change si le père de Tsitsipás se lève et se met à crier de monter plus au filet ? Ou bien que Patrick Mouratoglou fasse un petit geste à Serena Williams et lui indique des deux mains parallèles de monter et d’aller vers l’avant, sans dire un mot ? »

Mais il faudrait trouver la bonne façon d’assouplir cette norme, ajoute-t-elle. Pour que, au contraire, l’accès de l’entraîneur à son joueur ne devienne pas excessif.

Si elle pouvait changer une chose dans le tennis, quelle serait-elle ?

Elle étendrait et imposerait l’utilisation de la nouvelle génération de reprises, qui montre l’impact de la balle au super ralenti. En fait, l’analyste va même plus loin. Les décisions devraient dorénavant être rendues électroniquement, sans juges de ligne.

« Ça devrait être partout parce que ça va trop vite aujourd’hui pour l’œil. Voudrais-tu juger les services de Milos Raonic ? La personne qui est au centre risque chaque fois de se faire couper en deux, lance Hélène Pelletier. Ils l’ont fait sur certains tournois et ça fonctionne très bien. »

Mais ça prendra toujours un arbitre.

« Parce qu’on gère des êtres humains », souligne-t-elle.

Des Benoît Paire, notamment.

Journalisme sportif au féminin

À 62 ans, Hélène Pelletier fait partie des journalistes sportives d’expérience au Québec. À ses débuts, dans les années 1980, les femmes étaient rares dans le métier. Elles le sont moins aujourd’hui, mais leur présence demeure modeste.

Bien sûr, elle prône une meilleure représentativité féminine dans le milieu. Mais que ce soit pour les bonnes raisons.

Je ne veux pas que les filles soient là juste parce qu’elles sont belles et qu’on aime les regarder. Ce n’est pas ça, du journalisme sportif.

Hélène Pelletier

Les bonnes raisons, ce sont la compétence et la constance, voire l’acharnement, dans le travail. Et, à la base de tout ça, se trouve nécessairement la passion.

« Quand on est passionné, on travaille et on s’amuse en même temps, rappelle-t-elle. Tout le reste, c’est un bonus. La présentation, la qualité du français. Avoir un désir de s’améliorer dans ce domaine-là, c’est très important. »

Hélène Pelletier indique qu’elle sera toujours heureuse d’observer l’arrivée de la relève féminine. Et de répondre aux questions des recrues, le cas échéant. Puis, elle réitère le cœur de son message. En ajoutant une petite mise en garde.

« Ça me fait plaisir de donner des conseils si on me le demande. Mais, de grâce, n’allez pas dans le sport si vous n’en êtes pas passionnées. Et ça va aider aussi d’avoir une carapace peut-être un peu épaisse, par moments… »

Les Canadiens vus par Hélène Pelletier, en quelques phrases

Félix Auger-Aliassime

PHOTO ALASTAIR GRANT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Félix Auger-Aliassime, à Wimbledon, en juillet dernier

« Ce que j’aime de Félix, c’est un jeune homme très sérieux, très respectueux, très discipliné. Il travaille sur beaucoup de points et ça va se faire étape par étape. À Wimbledon, il a passé une autre étape en allant en quarts de finale. »

Denis Shapovalov

PHOTO ALBERTO PEZZALI, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Denis Shapovalov, à Wimbledon, en juillet dernier

« Lui, c’est son explosivité. C’est un shot maker comme on n’en a jamais vu. Il est unique en son genre, peu importe qui est devant. Et il est comme un petit garçon, tout en explosion, en feelings dans le tapis. Il faut qu’il gère ça aussi. »

Leylah Annie Fernandez

PHOTO MIKE SEGAR, ARCHIVES REUTERS

Leylah Annie Fernandez, aux Jeux olympiques de Tokyo 2020

« En peu de temps, elle est passée d’une petite joueuse qui courait sur toutes les balles à une joueuse qui visait les lignes. Parce qu’elle a compris que si elle ne faisait pas ça, elle n’avait pas de chances de battre les meilleures au monde. Elle aussi est unique. Et charmante, en plus. »

Bianca Andreescu

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Bianca Andreescu, à l’entraînement au Stade IGA, en 2019

« Il s’agit juste qu’elle soit capable de tenir physiquement pour jouer assez de matchs, pour se préparer pour des tournois. Parce que pour qu’elle utilise toute sa palette, varier, accélérer le long de la ligne, il faut qu’elle ait des références, la confiance pour le faire. Donc, la santé. »

Eugenie Bouchard

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Eugenie Bouchard, à Roland Garros, en 2020

« On ne sait pas trop quand elle va revenir [de son opération à une épaule]. Mais elle avait un beau niveau, top 30, top 40. Et elle va à Las Vegas travailler avec Gil Reyes, l’ancien d’Agassi. Il n’est pas obligé de la prendre, il le fait parce qu’elle est sérieuse. Elle ne ferait pas ça si elle voulait juste faire de belles photos. Mais on verra comment elle récupérera. »

Milos Raonic

PHOTO CARLOS PEREZ-GALLARDO, ARCHIVES REUTERS

Milos Raonic, au tournoi du Mexique, en mars dernier

« Il est tout le temps blessé, pauvre lui. Mais il a fait des choses que jamais, lorsqu’il était chez les juniors, on n’aurait pensé qu’il serait capable de faire. Tout ça avec l’intelligence de maximiser son gros coup [son service] et d’en ajouter un deuxième, le coup droit d’attaque. »