Eugène Lapierre ne se souvient pas de la dernière fois où il a pu prendre des vacances au mois d’août. Le directeur de la Coupe Rogers s’en serait bien passé, mais l’annulation du tournoi et de la plupart des compétitions depuis plusieurs mois lui a un peu forcé la main.

Celui qui est aussi vice-président principal de Tennis Canada n’est d’ailleurs pas resté inactif. L’organisme traverse en effet depuis le début de la pandémie une période très difficile en raison de la perte des revenus de ses deux grands tournois, à Montréal et à Toronto.

De nombreux programmes ont été suspendus et plusieurs postes ont dû être abolis, du côté des entraîneurs notamment. Dès le mois de mars, Lapierre et ses collègues ont tenté de trouver des solutions pour limiter les dégâts. On a même cru pendant un moment que le tournoi masculin pourrait être sauvé à Toronto, un peu comme on tente de le faire avec celui de Cincinnati (maintenant prévu à New York à compter de 22 août) et avec les Internationaux des États-Unis.

« À Montréal, on a vite eu un décret suspendant tous les grands évènements jusqu’à la fin de l’été et ça a réglé le cas, a rappelé Lapierre. Ce n’était toutefois pas la même chose à Toronto. On ne voulait pas prendre l’odieux de la décision quand la reprise était toujours possible. On a donc attendu qu’une décision vienne des circuits, de l’ATP dans le cas du tournoi de Toronto. »

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Eugène Lapierre, directeur de la Coupe Rogers

Mais nous n’étions pas dupes, nous savions que ce serait impossible de tenir le tournoi sans spectateurs. Le report des deux tournois d’un an crée déjà un manque à gagner important et cela aurait été encore plus grave si nous étions allés de l’avant sans spectateurs.

Eugène Lapierre, directeur de la Coupe Rogers

« De plus, il y aurait quand même eu des inquiétudes au niveau de la santé publique, avec quand même près de 500 personnes sur le site et des voyageurs de partout dans le monde : les athlètes, leur entourage, les officiels, etc. Les frontières ne sont pas encore complètement ouvertes pour le Canada.

« Les mesures sanitaires auraient été très complexes et il aurait fallu emprunter du personnel au secteur public, ce qui n’était guère raisonnable. Quand on mettait toutes les conditions ensemble, c’était évident que le report était la meilleure solution et qu’il fallait travailler pour 2021 et les années suivantes. »

Préparer l’avenir

À mesure que la pandémie se prolonge, l’incertitude reste complète sur la reprise des grands évènements sportifs au Canada.

« On ne connaît pas encore les conditions qui seront en place en 2021, rappelle Eugène Lapierre. Est-ce qu’il y aura un vaccin ? Est-ce que ce sera revenu à la normale ? Pourrons-nous accueillir des spectateurs ? Combien ? Devront-ils être masqués ? »

On travaille sur tous les scénarios. J’ai bon espoir qu’à court terme, si ce n’est pas en 2021, sûrement en 2022, on pourra organiser des évènements de divertissement et tenir nos tournois comme nous avions l’habitude de le faire auparavant. C’est évident qu’il va falloir s’adapter à une nouvelle réalité, et même si on a beaucoup entendu l’expression ‟se réinventer”, j’ai l’impression qu’on va continuer avec la même recette.

Eugène Lapierre, directeur de la Coupe Rogers

« Un spectacle, c’est un spectacle ; il faut qu’il y ait une communication sur place, même s’il y a des millions de téléspectateurs dans le monde. Ça prend du monde réel sur le site. Je pense que ça va revenir. »

Lapierre sait qu’il peut miser sur une recette gagnante, on l’a vu dans les premiers volets de cette série. Reste à voir comment vont évoluer les grands circuits professionnels, l’ATP et la WTA, comment aussi le calendrier des compétitions va être adapté.

« C’est sûr qu’il va falloir se battre pour garder notre place sur la scène internationale, explique le directeur de la Coupe Rogers. Le tennis est présentement en compétition avec d’autres secteurs de divertissement, sportifs, mais aussi culturels. Il faut travailler afin de rendre notre produit aussi attrayant que le basketball, le soccer, le hockey ici en Amérique du Nord et tous les autres grands spectacles.

« On commence à y arriver assez bien et nos chiffres grimpent de façon exponentielle chaque année, ce qui est encourageant pour l’avenir. On veut que les tournois de Montréal et de Toronto se positionnent sur la scène internationale pour très longtemps et on va y mettre les efforts. »

Les proches collaborateurs de Lapierre sont eux aussi restés actifs. Claude Savard, responsable des ventes corporatives, souligne : « Nous avons parlé à tout le monde, à Montréal et à Toronto. Nos principaux partenaires ont des ententes de plusieurs années et nous allons continuer de travailler ensemble.

« C’est différent pour nos commanditaires plus petits, qui ne savent pas tous comment ils vont se sortir de cette pandémie et qui vont devoir attendre plusieurs mois avant de savoir s’ils seront de retour avec nous. Dans l’ensemble, nous sommes optimistes pour la plupart d’entre eux. Nous parlons à beaucoup de monde actuellement et on sent que tous les gens ont vraiment hâte que les choses reviennent à la normale. »

Du côté de la billetterie, le responsable Paola Toribio explique : « Quand nous avons eu la confirmation que le tournoi était remis à l’an prochain, nous nous sommes tournés vers nos clients pour leur offrir le choix d’être remboursés ou de conserver leurs billets pour l’année prochaine. Et même ceux qui ont été remboursés, parce qu’ils avaient besoin de leur argent, ont obtenu l’assurance que nous garderions leurs réservations pour un certain temps.

« Les gens nous appellent régulièrement pour vérifier que ce seront encore les femmes l’été prochain, pour nous dire qu’ils ont hâte que le tournoi ait lieu. On n’est encore sûrs de rien, mais nous avons hâte, nous aussi. Nous sommes en contact avec les responsables de la billetterie d’autres tournois, à Indian Wells, à Miami, on regarde ce qu’ils font, on discute de ce qu’on peut faire pour mieux servir nos clients. Tout le monde est dans le même bateau, mais on se prépare pour 2021. »

Une reprise encore incertaine

Sur le plan sportif, Tennis Canada tente de préserver les acquis des programmes de développement et de bien encadrer ses athlètes pour la reprise graduelle des compétitions.

« C’est difficile au point de vue humain, avec le départ forcé de plusieurs entraîneurs, reconnaît Louis Borfiga, directeur du Centre national d’entraînement. On espère pouvoir les réembaucher le plus rapidement possible, à mesure que notre situation financière va s’améliorer. »

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Louis Borfiga, directeur du Centre national d’entraînement

On reprend graduellement l’entraînement au Centre, avec des matchs, des ligues aussi, pour nos meilleurs espoirs, autant les filles que les garçons. Les joueurs sont impatients de reprendre la compétition. C’est long pour eux, une telle période d’inactivité, et on sent vraiment qu’ils sont prêts.

Louis Borfiga, directeur du Centre national d’entraînement

« Nous avons évidemment émis des consignes strictes et sévères afin que tout le monde reste vigilant et que cette reprise se déroule dans des conditions sécuritaires, insiste Borfiga. Nos joueurs, même les plus jeunes, sont très rigoureux dans leur approche professionnelle, et je ne doute pas qu’ils prendront les bonnes décisions. »

Les conditions de la reprise du jeu restent incertaines, les premiers tournois disputés n’ayant pas eu l’ampleur de ce qui se prépare à New York, dans quelques jours, pour les Internationaux des États-Unis.

Il faudra donc attendre 2021, peut-être même plus longtemps, avant que des évènements comme la Coupe Rogers puissent être disputés comme avant.