Dans la catégorie « déclaration pour susciter la compassion », celle-là est un modèle. Un peu plus et on verserait une larme devant tant d’abnégation.

« Tout ce que nous avons fait dans le dernier mois, nous l’avons fait avec un cœur pur et des intentions sincères », a écrit Novak Djokovic, après que son tournoi de tennis, visant à mettre du soleil dans nos vies en ces temps de pandémie, eut viré à la catastrophe.

Un cœur pur ? Des intentions sincères ? Non, ce ne sont pas les premières expressions qui me viennent à l’esprit à propos de ces matchs organisés en l’absence des normes élémentaires de distanciation physique.

Voici plutôt un cas resplendissant de « l’athlète superman », convaincu d’être à l’abri des fléaux guettant le commun des mortels. Aux quatre coins du monde, les responsables de la santé publique ont multiplié les mises en garde face aux rassemblements. Mais Djokovic et ses camarades stars du tennis ont agi à leur tête, insouciants, heureux, immatures…

PHOTO DARKO VOJINOVIC, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Novak Djokovic

On connaît le résultat de ce tristement célèbre « Adria Tour » avec des matchs prévus dans quatre pays des Balkans. L’expérience a pris fin abruptement la semaine dernière lorsque Djokovic et sa femme, Jelena, Grigor Dimitrov, Borna Ćorić et Viktor Troicki ont tous reçu un test positif de COVID-19. D’autres personnes associées à l’évènement sont aussi atteintes par cette maladie aux conséquences imprévisibles.

Dans sa déclaration, Djokovic a expliqué que le but de ce tournoi était d’envoyer « un message de solidarité » dans la région et de donner la chance à de jeunes joueurs de disputer « du tennis compétitif », le tout sur fond de « philanthropie ». Vient ensuite ma phrase préférée : « Nous avons organisé le tournoi à un moment où le virus faiblit, croyant que les conditions requises pour tenir l’évènement étaient réunies. »

Voilà donc Djokovic et ses conseillers devenus spécialistes de santé publique !

Oui, oui, le même Djokovic dont le peu d’empressement à recevoir un éventuel vaccin contre la COVID-19 est connu. Heureusement, il a promis de poursuivre ses « recherches » à ce sujet…

Dans l’espoir de réduire la pression sur Djokovic, la première ministre serbe, Ana Brnabic, a déclaré lundi être elle-même à blâmer pour ce fiasco, son gouvernement ayant relâché les mesures de sécurité.

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Durant l’Adria Tour, Djokovic et ses amis et lui ont agi comme si le virus n’existait pas. Regardez cette photo prise au début de l’évènement. Belle distanciation…

PHOTO MARKO DJURICA, ARCHIVES REUTERS

L’Adria Tour a pris fin abruptement la semaine dernière.

Et lisez cet extrait d’une dépêche de l’agence Thomson Reuters, relayée par la CBC :

« Les gradins étaient remplis durant la première étape du tournoi à Belgrade, avec des joueurs se donnant l’accolade au filet, jouant au basketball, posant pour des photos et participant ensemble à des conférences de presse.

« Djokovic a organisé des sorties dans la capitale de la Serbie pour les joueurs, et des photos et des vidéos de lui dansant avec d’autres participants à son évènement ont été publiées sur des médias sociaux. »

> Regardez une vidéo

Alors un « cœur pur », vraiment ? Des « intentions sincères ? », vraiment ? Plutôt de l’égoïsme, un mépris total de la science et surtout une absence complète de solidarité. Peut-être que ces jeunes stars sont prêtes à prendre le risque d’attraper la COVID-19. Mais ça ne veut pas dire que les gens les côtoyant, qui ne sont pas tous des athlètes de premier plan en pleine santé, sont disposés à être contaminés à leur tour.

Tout cela donne aujourd’hui cette conséquence imprévue : Nick Kyrgios, l’enfant terrible du tennis, qui a si souvent bafoué les lois non écrites du sport avec son tempérament de gamin, passe aujourd’hui – et avec raison – pour un sage. Sur Twitter, il a pourfendu Djokovic : « Décision crétine d’aller de l’avant avec cet évènement. Prompt rétablissement les gars, mais voilà ce qui arrive quand vous méprisez tous les protocoles. CECI N’EST PAS UNE BLAGUE. »

Puis, à tous les amateurs tentés de lui reprocher ses actes controversés du passé, Kyrgios a suggéré de ne pas prendre cette peine : « Ceci remporte le championnat »…

Bien dit, M. Kyrgios.

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Le nom de Rudy Gobert vous rappelle quelque chose ? En mars dernier, son test positif à la COVID-19 a mené à la suspension de la saison de l’Association nationale de basketball (NBA). Les autres sports professionnels majeurs ont enchaîné au cours des heures suivantes.

Quelques jours plus tôt, alors qu’on craignait l’accélération de la pandémie, Gobert s’en était moqué, touchant à tous les micros placés devant lui à la fin d’une conférence de presse. Un autre « athlète superman » ne craignant pas pour sa sécurité et insouciant de celle des autres.

Gobert tenait au moins un minuscule morceau d’excuse. À l’époque, peu de gens imaginaient la déferlante qui a suivi en Amérique du Nord : éclosions massives dans les résidences pour aînés, fermeture des écoles, économie sur pause, course au matériel de protection… Djokovic, lui, savait.

Alexander Zverev est aussi un « athlète superman ». Après sa participation à l’Adria Tour, il a promis de demeurer en confinement malgré un test négatif à la COVID-19. Le week-end dernier, des images de lui dans une fête en Europe, où la distanciation était une vue de l’esprit, ont été diffusées sur les réseaux sociaux. Belle quarantaine… Encore une fois, Kyrgios a réagi : « Comment peut-on être aussi égoïste ? »

PHOTO TIRÈE DU COMPTE INSTAGRAM @_SHAERING

Alexander Zverev a fait la fête à Monaco plutôt que de demeurer en confinement après l’Adria Tour.

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Le sport a repris en Europe. Mais contrairement à l’Adria Tour, des mesures strictes ont été mises en place pour diminuer les risques de contagion.

Le sport professionnel nord-américain se lance maintenant dans l’aventure. Sauf qu’une différence fondamentale existe : en Amérique du Nord, les chiffres sont toujours alarmants, surtout dans le sud des États-Unis.

Voilà pourquoi je comprends les réserves de Carey Price face à un éventuel retour au jeu. Jeudi dernier, il a dit se poser « beaucoup de questions » à ce propos.

Le gardien du Canadien sait que le concept de « l’athlète superman » n’existe pas. Il est inquiet pour la suite des choses. Je le comprends très bien.

Oui, nous avons tous hâte au retour de la vie normale, avec plein de sport à savourer. Mais dans l’état actuel des choses en Amérique du Nord, ce grand retour me semble précipité. Souhaitons que les choses tombent en place correctement. En revanche, il ne faudra pas s’étonner si toute cette expérience dérape au fil des prochaines semaines.