Durant la finale des Internationaux de tennis des États-Unis, Sylvain Bruneau a semblé fait de fer et d’acier. Les yeux rivés sur le terrain, il a surveillé Bianca Andreescu livrant bataille à Serena Williams avec une concentration absolue. Comme si les cris de ces milliers de personnes souhaitant la défaite de sa protégée ne l’atteignaient pas. Mais on devine à quel point, au-delà de cet air imperturbable, son cœur battait fort.

Quand Andreescu a réussi le point gagnant après une inquiétante remontée de sa rivale, Bruneau a laissé éclater sa joie. Leur accolade a été chaleureuse lorsque la nouvelle championne l’a rejoint dans les gradins. « C’était fort, super fort des deux côtés, dit-il, d’une voix émue. […] C’était juste beaucoup de joie, la fierté, une joie très, très intense. »

Pendant qu’Andreescu embrassait ses parents, Bruneau a pensé aux difficultés de cette saison unique. Durant le tournoi de Roland-Garros, la jeune femme a été contrainte à l’abandon en raison d’une blessure à l’épaule qui tardait à guérir. « L’avenir était incertain, dit-il. Il a fallu surmonter beaucoup de choses. »

PHOTO PAUL CHIASSON, LA PRESSE CANADIENNE

L’entraîneur Sylvain Bruneau a aidé Bianca Andreescu à atteindre le sommet du tennis international.

En ce magique début de soirée new-yorkaise, Bruneau a-t-il aussi songé à son propre cheminement, celui qui l’a conduit de Repentigny à Flushing Meadows ? À l’âge de 54 ans, après avoir consacré sa vie au tennis, après avoir abandonné ses études universitaires pour se consacrer à sa passion – « contre l’avis de mes parents », se rappelle-t-il –, il venait de réussir un formidable exploit : mener une joueuse à l’un des plus prestigieux titres du tennis international.

Hier, en rencontrant les journalistes montréalais, Bruneau a eu les larmes aux yeux à quelques reprises. Soudain, après avoir évoqué l’émotion qui s’était emparée de lui samedi, il s’est perdu dans ses pensées et n’a pas entendu la question suivante. Ce moment intense a permis de mesurer l’impact de cette victoire sur sa propre vie. Non, ce n’est pas seulement Andreescu qui devra prendre le temps d’apprivoiser ce triomphe. Son entraîneur aussi.

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Sylvain Bruneau était adolescent lorsqu’il est tombé amoureux du tennis. L’élément déclencheur ? L’ouverture d’un club intérieur à Repentigny. « C’est à ce moment que j’ai commencé à jouer beaucoup, dit-il. J’avais 15 ou 16 ans, ce qui est très tard. Martin Laurendeau s’entraînait souvent au club. Il était déjà un des meilleurs au Canada dans sa catégorie d’âge, et j’ai passé des heures à le regarder frapper des balles. »

Excellent athlète, Bruneau est vite devenu un solide joueur. Mais il a compris que son avenir se trouvait dans l’enseignement du tennis. Il a dirigé des jeunes à son club et des adultes dans un gymnase de la ville.

Je faisais un peu de tout. Mais j’étais sur un terrain de tennis et j’étais heureux.

Sylvain Bruneau

Peu à peu, de bons joueurs ont émergé du club de Repentigny : Jocelyn Robichaud, Marie-Ève Pelletier… Cela n’a pas échappé à Tennis Québec, qui a donné à Bruneau sa première chance sur la scène canadienne. Tennis Canada l’a ensuite recruté. Au fil des années, Bruneau s’est retrouvé à la tête de l’équipe nationale de la Coupe Fed, qui défend l’honneur du pays dans ce grand championnat international.

Au début de 2018, la carrière de Bruneau a pris une nouvelle tournure. Son patron Louis Borfiga lui a demandé d’agir comme entraîneur personnel d’Andreescu. « J’étais un peu réticent, dit-il. J’avais une bonne relation avec toutes les filles de l’équipe. Et je savais que si j’entraînais une joueuse en particulier, ça changerait peut-être la dynamique avec les autres. »

Borfiga, vice-président du développement de l’élite à Tennis Canada, explique ainsi sa décision : « La priorité, c’était Bianca. À partir de là, je devais lui donner tous les atouts pour qu’elle atteigne ses objectifs. J’ai dit à Sylvain : “Tu ne peux pas tout faire, donc tu vas laisser la Fed Cup.” Il n’était pas content car la Fed Cup, c’était son p’tit bébé. Mais il n’a pas été long à convaincre. »

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Bianca Andreescu a un talent fou. Mais encore devait-elle le réaliser pour se hisser au sommet du tennis international. Et Bruneau est heureux de l’avoir aidée à franchir cette étape décisive.

Elle n’était pas pleinement consciente de toutes ses forces et de son don pour le tennis. Elle avait besoin d’un peu d’aide pour le découvrir.

Sylvain Bruneau au sujet de Bianca Andreescu

Andreescu a vite progressé à ce chapitre. Le déclic final s’est sans doute produit durant la finale du tournoi d’Indian Wells, en mars dernier. Rappelez-vous cette scène incroyable où Bruneau, durant une pause, lui explique que c’est maintenant le temps où « l’esprit doit dominer le corps », où elle doit puiser dans ses réserves pour gagner. « Tu sais combien tu es forte mentalement et physiquement… », ajoute-t-il.

« Sylvain est un génie du coaching et un homme humble qui ne se choque pas », dit avec admiration Eugène Lapierre, le grand patron de la Coupe Rogers à Montréal.

Bruneau est aussi un féroce compétiteur. Une demi-heure avant la finale de samedi, le clan Andreescu constate que Serena Williams s’échauffe au même endroit que la jeune Canadienne depuis le début du tournoi. Jusqu’à maintenant, cela n’a causé aucun problème puisqu’elles ne s’y sont jamais croisées. Mais dans les circonstances, Andreescu aurait-elle avantage à s’éloigner un peu de sa rivale ? Pas du tout, tranche Bruneau.

« On avait beaucoup parlé de l’importance pour Bianca de ne pas être intimidée, explique-t-il. Alors, on n’était pas pour commencer juste avant le début du match en laissant toute la place à Serena pour s’échauffer ! Au bout du compte, tout s’est super bien passé. Mais pour moi, c’était important d’agir ainsi. Serena est une légende, il y a une aura autour d’elle. Mais tu ne peux pas reculer si tu veux gagner contre elle. »

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En signant la première victoire canadienne en simple dans un tournoi du Grand chelem, Bianca Andreescu a marqué l’histoire. Mais cet exploit n’aurait pas été possible sans la contribution d’un mordu de tennis, toujours aussi attaché à Repentigny, la ville où il a découvert la beauté de ce sport. Sa passion est aujourd’hui récompensée.

Sylvain Bruneau peut être fier de lui.