Les appareils photo crépitent, les caméras télé tournent, et le bruit des conversations laisse place au silence : Félix Auger-Aliassime entre en salle de conférence de presse.

Vêtu d'une élégante tenue sport aux couleurs de son commanditaire, il dégage confiance et sérénité. Sa voix assurée ajoute à cette impression. Difficile de croire que ce jeune homme n'a que 18 ans. Les jeux vidéo ? Très peu pour lui. À peine trahit-il son âge en avouant ne pas encore détenir de permis de conduire.

On sait depuis longtemps que Félix connaîtra une carrière phénoménale au tennis. Mais qui aurait pensé que sa progression serait aussi rapide ? Son parcours à Miami, où il a atteint la semaine dernière la demi-finale d'un « Masters 1000 », est un exploit retentissant.

On l'aurait compris de s'offrir un congé prolongé à l'abri des regards. Il a plutôt choisi de faire un saut à Montréal, où il multiplie les entrevues. Voilà qui mérite d'être souligné. Ne pas oublier d'où on vient est un atout crucial dans la gestion d'une carrière prometteuse comme la sienne, mais qui comporte aussi son lot de pièges.

En quelques semaines à peine, la vie de Félix a en effet changé. Il était jusque-là un jeune joueur sur la lancée, le voici propulsé au rang de vedette internationale. Aux quatre coins du monde, il est considéré comme l'un des meilleurs espoirs de son sport, capable d'atteindre ce qu'il appelle lui-même son « rêve ultime », soit la conquête d'un titre majeur et l'obtention du premier rang au classement mondial.

Aux États-Unis, principale caisse de résonance du tennis professionnel, les analystes couvrent Félix Auger-Aliassime d'éloges.

Quand on lui demande comment il composera avec cette nouvelle réalité, la réponse de Félix tombe d'un seul trait : « Plus j'avance, plus je grimpe dans le classement et plus je gagne des matchs, plus je me rends compte que les choses importantes sont vraiment simples : la famille, prendre plaisir à jouer au tennis, les moments que je passe avec mes entraîneurs, ma famille et mon équipe... »

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On a longtemps pensé que la génération des Milos Raonic, Kei Nishikori et Grigor Dimitrov fournirait des successeurs à Roger Federer, Novak Djokovic, Rafael Nadal et Andy Murray. À moins d'une surprise, ce scénario est écarté. Il faut maintenant se tourner vers le groupe des plus jeunes pour trouver la prochaine grande star du tennis.

Alexander Zverev, Stéfanos Tsitsipas et Denis Shapovalov comptent parmi les candidats. Mais qui sait si Félix ne sera pas le meilleur d'entre eux ? Il possède certainement le jeu et la détermination pour s'imposer. Et dans son entourage, on ne sent pas l'agitation qui règne souvent autour des jeunes vedettes du sport. Impossible de prédire l'avenir, mais on l'imagine mal changer à répétition d'agent ou d'entraîneur. La stabilité, gage de succès en début de carrière, semble importante pour lui.

L'avocat Bernard Duchesneau représente les intérêts de Félix. Il reçoit de nombreuses propositions d'affaires, et des accords ont été signés avec l'équipementier Nike, le spécialiste de produits de tennis Babolat et le fabricant de montres Tag Heuer.

Mais en discutant avec lui, on comprend que, sur le plan commercial, Félix ne brûlera pas les étapes. « On n'est pas pressés, la carrière sera longue, dit Duchesneau. On ne peut pas tout faire en même temps. L'important est de trouver les bons partenaires, qui comprennent la vision, embarquent dans le projet et partagent des valeurs communes. »

Duchesneau a réalisé l'immense potentiel de Félix en le voyant jouer dans le volet junior de Roland-Garros à l'âge de 15 ans. Il connaissait sa famille et a pensé pouvoir lui donner un coup de main.

« On s'est assis pour regarder comment on voulait faire les choses, dit-il. Et j'ai proposé une façon en harmonie avec les valeurs de la famille, de Félix et des coachs. C'est ça, une équipe. Tout le monde doit être dans le même bateau. Et à partir du moment où il y a un plan, tout le monde le suit. »

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L'aisance avec laquelle Félix répond aux questions démontre sa capacité d'adaptation. Ainsi, il aborde franchement la question de sa nouvelle résidence de Monaco. « C'était essentiel pour moi d'avoir une base en Europe », dit-il, évoquant ses longs séjours outre-mer et ses besoins en entraînement.

En choisissant un territoire avantageux sur le plan fiscal, Félix touche néanmoins une corde sensible. « Les gens peuvent évidemment en parler », reconnaît-il, précisant ensuite que les bourses remportées sont imposées selon les taux en vigueur dans les pays qui accueillent les tournois.

Bien sûr, les joueurs touchent aussi d'autres revenus, mais reconnaissons-lui le mérite de ne pas éviter la question. « J'ai mes raisons personnelles et professionnelles », poursuit-il, à propos de son choix. « Mais ce n'est pas tout le monde qui est obligé d'être d'accord non plus. »

L'important, c'est aussi ce qu'il entend redonner au tennis d'ici. Et à ce chapitre, son plan est ambitieux. Félix est associé depuis plusieurs années à un programme de Tennis Québec visant la participation scolaire. Et il espère que ses succès inspireront d'autres jeunes.

« J'ai souvent dit que j'aimerais être un ambassadeur du tennis. Je suis maintenant dans une position où je peux commencer à le faire. La meilleure façon est d'être un bon exemple pour les enfants. Durant ma carrière, je veux trouver la manière d'aider la prochaine génération. C'est un gros objectif pour moi. »

- Félix Auger-Aliassime

Félix voit les choses comme un cycle. S'ils obtiennent du succès, les jeunes qui seront inspirés par ses performances en inspireront d'autres à leur tour. Et la roue continuera de tourner.

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J'observais Félix hier en me demandant si on saisit bien, au Québec, à quel point il pourrait marquer notre histoire sportive.

Le tennis est une discipline populaire partout dans le monde et ses vedettes sont des stars planétaires. Et voilà qu'un jeune joueur d'ici, qui affiche déjà beaucoup de panache, qui combine lucidité et ambition, a le potentiel de devenir dans quelques années le meilleur au monde.

C'est absolument extraordinaire quand on y pense.